Après la triplette magique composée par « Toys In The Attic », « Rocks » et « Draw The Line », Aerosmith est installé au zénith du hard-rock. Malheureusement, la gloire peut avoir sa rançon, et dans le cas présent, l’abus de substance illicites et hallucinogènes commence à sérieusement peser sur l’ambiance au sein du groupe. Les deux membres les plus influents du quintet, Steven Tyler et Joe Perry, sont également les plus touchés par cette malédiction et en viennent à se détester. Leurs excès leurs valent le doux surnom de Toxic Twins alors qu’ils font vivre un véritable enfer à leur entourage. C’est donc dans cette ambiance tendue qu’Aerosmith rentre en studio pour enregistrer son 6ème album « Night In The Ruts », délicate contrepèterie de « Right In The Nuts ».
Et pourtant, si le hard US des Bostoniens reste relativement direct, il est cependant moins violent que ses prédécesseurs et la production du Gary Lions, spécialiste du rock FM (Foreigner, Queen), n’y ait probablement pas pour rien. Il n’empêche que, même s’il comprend encore quelques perles, cet album n’atteint pas les sommets de la triplette citée en introduction. D’autre part, le duo Tyler – Perry ne signe que 5 titres sur 9, alors que le groupe se fend de 3 reprises, le dernier titre étant l’œuvre de Steven Tyler seul, dans des conditions que nous aborderons plus tard. Autant dire que l’inspiration commence à faire défaut et que les tensions entre les T-Twins en sont les principales responsables. Pourtant, le duo est capable de pondre des riffs irrésistibles et qui font encore mouche. Ainsi, celui de « Chiquita » est un véritable rouleau compresseur avec son hard US, un brin heavy, renforcé par des cuivres. Impossible également de résister à un « Bone To Bone (Coney Island White Fish Boy) » direct et efficace, pas plus qu’à un « Cheese Cake » durant lequel Perry nous gratifie de bottleneck du meilleur effet. Seul « No Surprize » place en début d’album, donne l’impression de tourner un peu en rond malgré un riff intéressant.
Pourtant, il y a un - je ne sais quoi - qui fait que quelque chose semble ne pas tourner rond pendant l’écoute de cet album. Tout d’abord, il y a cette ambiance assez sombre, qui s’intensifie sur des titres tels que « Remember (Walking In The Sand) », reprise du tube des Shangri-Las composée en 1964 par Shadow Morton, et alternant des couplets stylés ballade et un refrain plus sautillant. Même obscurité sur « Think About It », reprise d’un autre hit, mais des Yardbirds cette fois. Et puis il y a cette espèce d’énergie du désespoir dans le chant d’un Steven Tyler qui donne l’impression que le pire va arriver, même si ce dernier tend la main à son jumeau toxique, le temps d’un « Hey Mister Perry » lancé en introduction de l’énorme solo de « Reefer Head Woman ». Il est d’ailleurs à signaler que ce titre est la troisième reprise de l’album, empruntée à Bill « Jazzy » Gillum, bluesman des années 30. Ce désespoir trouve son explication dans le fait que le divorce entre les 2 leaders est consommé et qu’il débouchera sur le départ de Joe Perry avant la fin des séances d’enregistrement. Et à ce titre, « Mia », ballade clôturant l’album et composée par Tyler, a tout d’une ode funéraire.
La voilà donc l’explication. Cette énergie, qui nous poussait à sauter de nos chaises à l’écoute des précédents opus, n’est plus la même. Elle est celle de 2 amis que l’héroïne a séparés, mais qui n’arrivent pas à effacer leur attachement mutuel derrière la haine provoquée par la dépendance. Et ce désespoir est tellement déchirant qu’il nous atteint et nous empêche de profiter pleinement de cet album. En effet, il impossible de ne pas imaginer les sommets qu’auraient pu atteindre la plupart de ces titres s’ils avaient été composés et enregistrés dans une ambiance plus saine. Alors bien sûr, cela n’empêche pas « Night In The Ruts » d’être d’un niveau plus que respectable, mais il est difficile de le déguster pleinement avec ce petit arrière goût de gâchis qui traîne en bouche. La nuit qui s’annonce sur la carrière d’Aerosmith amène avec elle son lot d’angoisses !