ARTISTE:

NOIR DÉSIR

(FRANCE)
TITRE:

NOUS N'AVONS FAIT QUE FUIR

(2004)
LABEL:

BARCLAY

GENRE:

ROCK

TAGS:
Chant éraillé, Chant grave, Expérimental, Intimiste, Live, Planant
""
PLATYPUS (24.06.2008)  
5/5
(0) Avis des lecteurs (0) commentaire(s)

Ayant remarqué que le groupe Noir Désir était totalement absent de Music Waves, il m’a paru nécessaire de remédier à cette omission ; pour autant, tout ayant déjà été dit sur leur abondante discographie, j’ai décidé de chroniquer le seul album qui n’ait eu aucune – ou presque – répercussion au sein de la presse généraliste, bien plus occupée alors à démolir celui qui les avait toujours tenu en respect et qui offrait alors bonne prise à un déferlement de haine dont les motivations furent sans doute autant morales et culturelles que politiques, voire classistes.

Cet album, qui constitue à mon sens la meilleure offrande musicale et poétique du groupe à ce jour – en attendant la prochaine, qui d’après certaines rumeurs venues tout droit d’Helvétie, pourrait être enregistrée cet hiver – est en fait l’enregistrement d’un concert privé donné pour France Culture en 2002, distribué ici en compagnie d’un petit livret dans lequel sont reproduites les paroles du long poème qui constitue l’unique morceau de ce live atypique, écrit entre deux sessions d’enregistrement et en partie improvisé ; long poème intitulé « Nous n’avons fait que fuir » dont la mise en musique, par bien des côtés proche du morceau "L’Europe" présent dans « Des Visages des Figures », emprunte autant à la scène underground américaine du début des années 70 (Le Velvet Underground notamment) qu’au free-jazz, en passant par Léo Ferré, Jacques Brel et les musiques expérimentales ou bruitistes. Littérairement, on est bien sûr proche de Baudelaire et Rimbaud, mais aussi, et plus curieusement, de la poésie méta-réaliste houellebecquienne, ou encore, dans une toute autre sphère, des éclairantes métaphores politico-poétiques que l’on doit, quoique l’on pense du personnage, à Mao lui-même.

Le décor ainsi posé, voyons de plus près ce que nous propose le groupe. Musicalement, le morceau est une longue suite où le groupe explore sa face la plus sombre et la plus radicale, loin du format chanson traditionnellement requis pour tout album rock. Les mélodies sont rares, et généralement assurées par la voix, car ce qui compte ici, c’est plutôt la création virtuose d’une ambiance unique, que l’on s’attendrait plus à retrouver en musique contemporaine que chez un groupe de rock, aussi inventif soit-il. La section rythmique propose un cadre lancinant, hypnotique, basé sur des métriques parfois inhabituelles qui n’ont de cesse de surprendre ; le guitariste, admirablement secondé par de longues nappes au clavier, tisse un cocon sonore tour à tour apaisé, dissonant, d’un minimalisme brutal parfois lorsqu’il s’agit de souligner la révolte amère qui secoue l’ensemble de la prestation. Et puis que dire du chant de Cantat, qui confirme ici qu’il possède l’une des plus belles voix de la scène rock française, l’une des plus variées aussi : chuchotement, borborygme, psalmodie, hurlement, explosion lyrique en voix de tête, chant clair ou rageur, improvisation rythmique, tout y passe et tout est réussite implacable. Malgré cette rare diversité, et la longueur du morceau, déroutantes peut-être, le groupe a su garder une réelle cohésion musicale, avec de multiples retours thématiques (mélodiques et textuels) qui facilitent l’orientation au sein de ce dédale sonore digne des meilleurs compositeurs expérimentaux. Toute proportion gardée, et sans cette violence qui les caractérise, il est possible de comparer le morceau au "Grand Guignol" de Naked City, le groupe fondé par le saxophoniste new-yorkais John Zorn.

Mais au-delà de la musique, il y a les textes, l’atout maître de Noir Désir. Avec « Des Visages de Figures », un pas vers l’abstraction poétique avait été franchi, sans que pour autant les paroles perdent toute signification. Ici, cette orientation est radicalisée ; il s’agit bien de la mise en musique d’un poème, mais d’un poème où les métaphores multiples et les vers énigmatiques déchirent avec une rare violence le rideau, tissé par nos modernes idéologues, qui soustrait à nos regards aveugles l’immonde du réel ; un poème qui redonne sens au monde par une formidable archéologie des bouleversements culturels, politiques et sociaux qui nous frappent depuis près de trois décennies ; un poème enfin qui sait réenchanter les luttes passées, présentes et à venir, entre le regret poétique et l’appel au combat.
Je ne peux résister à l’envie de vous citer quelques passages du texte, qui comptent parmi les plus beaux de la poésie en prose française.

« Un cortège se met en route, une kyrielle d’assassins, tous insectes de proie. Ils marchent ils avancent ils signent du bout des lèvres leur projet pour le siècle qu’on lit les yeux crevés. » (p. 20) Puis, plus loin, apparaît l’une des plus belle images politico-poétiques qui soit : « Vos crachats ça nous fait des coquilles de cristal/Il suffit d’empoigner la crinière de l’étoile. » (p. 28). Contre la radicalisation de cette société du spectacle qu’en son temps Guy Debord avait déjà fustigée, Cantat se fait ironique, caustique même dans ses jeux de mots : « Je suis intoxiqué volontaire/Suradapté chronique, prenez-moi comme exemple, comme jeune premier, comme mannequin vedette, je sais me mettre en scène, je sais me « défiler »/L’ai-je bien descendu ? Les ai-je bien descendues les marches du palais d’Empereurs Communicants (de charmants chimpanzés aux mimiques de bronze et aux sourires d’ivoire) » (p. 42). Enfin, le désir (le besoin même) de révolte qui traverse toute l’œuvre de Cantat est magnifiquement exprimé en quelques vers : « Prends ma main camarade, j’aurai besoin de toi/Et les tueurs de merveilleux courent toujours/Arrêtez-les ! Arrêtez-les ! » (p. 47).

Car c’est bien un hommage à l’utopie, au combat politique, que le groupe nous propose là, contre les démissions dont nous sommes tous, à notre échelle, coupables, pour que le "Nous n’avons fait que fuir" ne soit plus qu’un lointain souvenir… Et pour que l’art, encore et toujours, sache révéler en nous l’urgence de la révolte.


Plus d'information sur http://www.noirdez.com/





LISTE DES PISTES:
01. Nous N'avons Fait Que Fuir - 55:31

FORMATION:
Bertrand Cantat: Chant / Guitares
Denis Barthe: Batterie
Jean-Paul Roy: Basse
Serge Teyssot-Gay: Guitares
   
(0) AVIS DES LECTEURS    
Haut de page
   
(0) COMMENTAIRE(S)    
 
 
Haut de page
LECTEURS:
-/5 (0 avis)
STAFF:
2.7/5 (3 avis)
MA NOTE :
 
 
AUTRES CHRONIQUES
THE NEIL CAMPBELL COLLECTIVE: Particle Theory (2008)
ROCK PROGRESSIF -
INFADELS: Universe In Reverse (2008)
ROCK -
 
ECOUTE EN STREAMING
 
L'album n'est peut être pas sorti ou l'ID spotify n'a pas encore été renseigné ou il n'y a pas d'ID spotify disponible
 
F.A.Q. / Vous avez trouvé un bug / Conditions d'utilisation
Music Waves (Media) - Media sur le Rock (progressif, alternatif,...), Hard Rock (AOR, mélodique,...) & le Metal (heavy, progressif, mélodique, extrême,...)
Chroniques, actualités, interviews, conseils, promotion, calendrier des sorties
© Music Waves | 2003 - 2024