Les deux précédents albums de Brother Ape n’avaient manifestement pas suscité l’adhésion de mes collègues chroniqueurs. N’ayant jusqu’ici jamais entendu parler de ce quatuor (devenu trio) suédois, je ne pourrai me prononcer sur une éventuelle progression avec ce troisième opus, me contentant de considérer ce bien nommé « III » dans sa plus entière singularité, indépendamment du reste de la discographie.
La musique délivrée ici frappe d’abord par sa diversité. S’il s’agit bien de rock progressif, des influences world (notamment sud-américaines, surtout au niveau des percussions, richement travaillées), jazz-rock, pop et métal traversent l’ensemble de l’album, sans pour autant nuire à sa cohésion, ni à une accessibilité bien réelle. L’écoute reste du coup fort agréable tout au long de ces neuf morceaux de taille moyenne (jamais plus de sept minutes) qui n’engendrent néanmoins qu’un plaisir mesuré, tout à fait raisonnable. Car si les mélodies développées font preuve d’un certain lyrisme Yessien (le chanteur emprunte à Jon Anderson son timbre si particulier sur une bonne partie du titre "Immortal"), touchent parfois à la profondeur sonore d’un Genesis ("No Answer", qui évoque parfois, au détour de quelques chœurs, les Beatles), si dans l’ensemble la référence dominante reste le groupe Saga (la couleur générale est en effet plutôt pop, morceaux courts, arrangements chatoyants et mélodies imparables), le résultat final sonne un peu sage. Prise de risque minimum donc, ce qui n’augure rien de très bon…
Pourtant, quelques morceaux sortent du lot. "Another Day Of Wonder" tout d’abord, avec son break instrumental jazzy parfaitement intégré à une suite d’arpèges très genesissienne, où le guitariste se fend d’un solo fort bien exécuté. Puis surtout "All I Really Want", excellente (mais peu originale) ballade progressive, qui pour la première fois au cours de l’écoute m’a arrachée de bien beaux frissons. Le piano et la guitare acoustique accompagnent un chant tout en retenue sur la première partie, magnifié par une guitare électrique aérienne et lyrique ; puis vient la seconde partie, instrumentale, qui n’est rien d’autre que l’éternelle répétition d’une même suite d’accords traitée en arpèges. Mais quelle progression au sein de cette montée ! Et quel lyrisme lorsque les cordes, puis la guitare électrique, en contre-chant, entrent en scène ! Montez le son, fermez les yeux et laissez-vous porter par cette vague à la douceur sucrée, douloureuse extase tressée de mélancolie… Enfin, il faut signaler le travail général accompli par le bassiste, qui est le principal artisan d’un groove dynamisant la quasi totalité des morceaux.
Voici donc un album qui n’a malheureusement pas tenu toutes ses promesses. Il semble y avoir là un réel potentiel, tant au niveau de la composition que du jeu de chacun des musiciens ; mais ces qualités ne sont jamais exploitées jusqu’au bout, comme si le groupe prenait peur devant ses possibles prédispositions, sinon à l’innovation, du moins au courage artistique. Deux excellents morceaux ne peuvent suffire à rattraper les quatre ou cinq autres qui auraient plus leur place dans la salle d’attente d’un médecin allergique aux traditionnels étrons radiophoniques, que sur la platine d'un amateur de rock progressif. Autant dire que cet album convaincra certainement les fans de la première heure ; mais s’agissant des autres, il est permis d’en douter…