La Suède est, on le sait, terre de progressif. On ne compte plus les groupes essentiels issus de ce vaste pays où la musique, et ce n’est pas un hasard sans doute, occupe dès l’école élémentaire une grande place dans la formation scolaire des chères têtes blondes. Plutôt que de vanter à tout bout de champ la social-démocratie suédoise, modèle pourtant déjà moribond, nos gouvernants feraient mieux de chercher à appliquer en France une véritable politique d’éducation culturelle qui saurait détourner nos jeunes (et moins jeunes) de la Star Ac’ et autres monstruosités…
Mais laissons là pareilles remarques acrimonieuses, et revenons au groupe qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir Jupiter Society, création du prolifique Carl Westholm, claviériste et leader, entre autres, de Carptree. Entouré d’une flopée d’invité(e)s prestigieux(-ses), notamment pour les voix, mais aussi aux guitares, batteries ou basses*, il nous propose ici un concept-album extrêmement ambitieux dont l’argument premier tient en la description des jours importants de notre futur. Science-fiction donc, et mise en musique au sein d’une narration qui emprunte autant au rock prog symphonique qu’au heavy métal, à l’opéra-rock qu’à l’atmosphérique. Cela ne vous rappelle rien ? Si, bien sûr : Ayreon, projet démesuré (et jusqu’ici toujours convaincant) du talentueux multi-instrumentiste Arjen Anthony Lucassen.
Autant dire que sur le papier, « First Contact – Last Warning» a tout pour séduire et pourrait se passer de convaincre, tant les références citées ne souffrent la contradiction. Mais après plusieurs écoutes, le bilan est plus mitigé. Et encore faut-il persévérer, relancer le disque jour après jour, pour – enfin ! – en découvrir les trésors cachés. Car le « premier contact » fut assez décevant : si les compositions sont, à n’en pas douter, d’une réelle qualité, le tout reste un peu sage, monochrome, ce que n’arrange pas une production trop aseptisée à mon goût. Du vent de folie qui souffle parfois sur les albums d’Ayreon, il n’est pas question ici, ni même de l’incroyable intelligence mélodique de Lucassen. Pour autant, aucune faute de goût n’est à déplorer, les chanteurs et musiciens sont en tout point irréprochables, le travail d’arrangement aux claviers ne souffre d’aucun défaut, ni trop discret, ni a contrario envahissant. Mais le fait est que les morceaux se suivent et se ressemblent, l’unité des timbres vocaux n’y étant d’ailleurs pas pour peu de choses, et qu’il paraît difficile d’en isoler un plus qu’un autre.
Puis viennent les écoutes suivantes, qui n’effaceront pas totalement la première impression, mais sauront considérablement la nuancer. Car au fur et à mesure, de rapidement ennuyeux cet album devient franchement attachant. Si la diversité des voix n’est pas au rendez-vous, leur unité même finit par engendrer une cohérence surprenante, rehaussée de chœurs variés, souvent mixtes. Les lignes de chant sont toujours très mélodiques, expressives à souhait, directement soutenues par les instruments en mode lyrique, en rupture avec l’accompagnement lors de moments plus intimistes.
Ce qui frappe surtout, c’est le souci du détail transparaissant au sein de chaque composition : arrangements léchés, ostinato électroniques et spatiaux qui renforcent le caractère futuriste du concept. Mieux encore, les morceaux prennent une formidable ampleur, justement parce qu’ils restent relativement simples (ne cherchez pas ici de cassures rythmiques, de breaks ultra-techniques ou d’expérimentations harmoniques, ces éléments sont pratiquement inexistants), lorgnant souvent vers l’atmosphérique malgré de nombreuses incursions dans un métal plus heavy à base de riffs particulièrement lourds (le titre "The Enemy" en est la plus parfaite illustration). Ce qui transcende cet album, c’est finalement l’apaisement qu’il véhicule (grâce à l’utilisation systématique des claviers en nappes), paradoxalement associé à des structures rythmiques beaucoup plus métal que rock progressif. Enfin, la rareté des soli (que pour ma part je regrette tout de même) est compensée par le feeling qui les traverse et bien souvent les magnifie.
Si « First Contact – Last Warning » ne s’impose pas comme l’un des albums majeurs de cette année 2008, et ne saurait concurrencer Ayreon malgré une approche musicale parfois commune, il n’en reste pas moins capable de faire passer un excellent moment, une fois acquis que l’effet de surprise n’était sans doute pas le maître mot de son concepteur. Aspect d’ailleurs regrettable, car il ne fait pas de doute qu’entouré de tels talents et armé de son propre génie, Carl Westholm pouvait proposer une œuvre dont l’ambition ne se serait pas seulement logée dans le concept et les arrangements, mais aussi dans le travail de composition et le désir de surprendre, de temps à autre, l’auditeur…
* pour une liste exhaustive des participants à cet album, visiter le myspace du groupe, ou bien leur site internet.