ARTISTE:

MR BUNGLE

(ETATS UNIS)
TITRE:

DISCO VOLANTE

(1995)
LABEL:

WARNER

GENRE:

ROCK PROGRESSIF

TAGS:
Expérimental, Fusion, Happy
""
PLATYPUS (16.10.2008)  
5/5
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Lorsque sort en 1991 le premier album de Mr. Bungle, sobrement intitulé « Mr. Bungle », Mike Patton, son leader charismatique, n’est déjà plus un inconnu. Il est même en passe de devenir l’un des chanteurs les plus influents des années 90 avec le groupe de métal fusion Faith No More (dont vous pouvez retrouver les chroniques, réalisées par Torpedo, sur le site), qui inspira par la suite la scène nu-metal et des groupes comme Korn, System Of A Down, Incubus, ou encore, dans une moindre mesure, Pain of Salvation. Mais si musicalement, Faith No More reste relativement classique, il n’en est pas de même avec Mr. Bungle. Le nom du groupe, déjà, est tout un programme, puisqu’il s’agirait du patronyme d’un clown intervenant dans des émissions pour enfants, ainsi que du pseudonyme utilisé par un acteur américain de films X.

L’anecdote est significative, car elle introduit à elle seule à l’univers singulier du groupe, entre frasques scéniques clownesques, dérision grinçante et allusions morbides, sexuelles et scatologiques en tout genre (penchez-vous sur les paroles du morceau "The Girls of Porn" issu du premier album, c’est on ne peut plus explicite…). Musicalement, Mr. Bungle est un groupe totalement schizophrène, capable de passer du death metal au free jazz, après une incursion dans la surf music ou le funk ; n’oublions pas également des incursions dans la pop, la musique tzigane, la techno, le bruitisme et l’expérimental… Bref, composé de musiciens talentueux et du chanteur le plus polyvalent qui soit, le groupe décida, après les délires ska-métal du premier opus, de sortir un album encore plus déstabilisateur que le précédent, radicalement inaccessible pour quiconque n’y prêterait qu’une oreille distraite.

Cet album, ce fut « Disco Volante », paru en 1995 dans l’indifférence totale de la presse généraliste comme des magazines spécialisés. Il s’agissait pourtant, et je pèse mes mots, d’un des disques majeurs de cette fin de XXe siècle, une de ces révélations artistiques comme le siècle en a peu connu, à ranger aux côtés du film-manifeste « Un chien andalou » des surréalistes Dali et Bunuel (1929). Comparaison avec le surréalisme qui n’a d’ailleurs rien de fortuite, nous y reviendrons. Composé de douze titres, cet album est la synthèse parfaite du génie de Mr. Bungle, chaque morceau dévoilant l’une des innombrables facettes du groupe et explorant jusqu’aux frontières du monde connu – et parfois même au-delà – les différents styles musicaux convoqués. Transgresser les interdits, repousser toujours plus loin les bornes de l’admissible, c’est sans doute l’objectif que s’est assigné au XXe siècle l’art contemporain, pour le meilleur comme pour le pire ; ici, c’est le meilleur qui fut atteint.

Rendre compte dans sa totalité de « Disco Volante » est une gageure, un défi que je ne saurais relever tant l’œuvre est dense et échappe aux catégories usuelles de la description. Néanmoins, il ne saurait être question de vous laisser aborder cet album sans vous proposer un minimum d’entrées pour mieux vous en faire apprécier toute la saveur. A mon sens, la meilleure écoute qui puisse être faite de « Disco Volante » est linéaire, et d’un bloc ; une immersion totale et libérée de tout a priori est indispensable. Et c’est là que le parallèle avec le surréalisme devient signifiant : il s’agit d’abandonner toutes les catégories fondées sur l’impératif de raison, de renoncer à la traditionnelle ontologie de l’unité de l’être humain. Mr. Bungle est un collectif musical schizophrène qui vous fera passer d’une certaine façon de l’autre côté du réel, là où se joue l’infini des possibles, où nous existons vraiment peut-être.

Le titre d’ouverture, bruitiste en diable, bénéficiant d’un mixage extrêmement resserré, constitue une introduction moins prototypique que conceptuelle à l’album ; c’est l’occasion de comprendre que rien ne sera fait pour nous faciliter l’accès aux morceaux suivants. Et pourtant, la tâche est peut-être moins complexe qu’il n’y paraît : car au-delà du mélange des genres, des incursions dans la musique contemporaine ou expérimentale, la musicalité n’est jamais oubliée, toujours même sublimée par de délicieuses digressions jazzy, funk ou pop. Et si l’introduction de "Violenza domestica" flirte avec la musique concrète, l’implicite sadique qu’elle met en scène (ces couteaux que l’on aiguise…) nous renvoie à une réalité potentiellement connue. Par ailleurs, les codes ne sont pas tant ignorés que détournés, imbriqués les uns dans les autres ; toujours dans ce même morceau – l’un des meilleurs de l’album – le folklore de cabaret, la chanson de charme et le métal s’interpénètrent, se confondent dans une création éminemment personnelle, mais restent identifiables. Parmi les titres dont il me faut souligner la grande valeur, citons "Carry stress in the jaw", mélange improbable de jazz et de métal portant la voix polymorphe de Mike Patton, qui confirme là son statut de chanteur à part, alliance de compétence, de spontanéité, de diversité et de folie comme vous n’en trouverez nulle part ailleurs. Les musiciens ne sont pas reste, mais était-il vraiment utile de le préciser ?

En fait, seuls trois morceaux me paraissent un cran en dessous, plus anecdotiques : ce sont aussi les plus courts (pistes 6, 7 et 10), comme si le groupe s’était accordé quelques petites pauses. Morceaux récréatifs, agréables à l’écoute, mais indubitablement moins inspirés. "The Bends" est également à ranger à part et à signaler comme titre le plus difficile d’accès de l’album : il s’agit d’une pièce contemporaine à part entière, déstructurée, peu mélodique, mais incroyablement maîtrisée, largement atmosphérique tout en sous-tendant une violence perverse dont la sauvagerie n’attend que l’occasion de se manifester. Pièce angoissante qui exprime à merveille la multiplicité et l’instabilité constitutives de nos êtres.

Inutile de pousser plus avant la description des morceaux, le meilleur moyen de découvrir « Disco Volante » étant encore de l’écouter. Toutefois, s’il me reste un conseil à vous donner, c’est de vous plonger, avant, pendant ou après les multiples écoutes que vous ferez certainement de cet album, dans « Le Théâtre et son double » (ou « Théâtre de la Cruauté », 1936) d’Antonin Artaud, influence littéraire explicitement revendiquée par le groupe. Littérature et musique, dans la galaxie zornienne à laquelle Patton appartient, font souvent bon ménage ; ce n’est pas là la moindre de ses qualités.


Plus d'information sur http://www.bunglefever.com





LISTE DES PISTES:
01. Everyone I Went To High School With Is Dead -
02. Chemical Marriage - 03:09
03. Carry Stress In The Jaw - 08:59
04. Desert Search For Techno Allah - 05:24
05. Violenza Domestica - 05:14
06. After School Special - 02:47
07. Phlegmatics - 03:16
08. Ma Meeshka Mow Skowz - 06:06
09. The Bends - 10:28
10. Backstrokin' - 02:27
11. Platypus - 05:07
12. Merry Go Bye Bye - 12:58

FORMATION:
Clinton "Bär" McKinnon: Claviers / saxophone ténor, clarinette
Danny Heifetz: Batterie
Mike Patton: Chant
Trevor Dunn: Basse / Viole de Gambe
Trey Spruance: Guitares / Claviers
   
(1) AVIS DES LECTEURS    
ALADDIN_SANE
16/10/2008
  0 0  
5/5
Un disque inégalé dans son approche de la folie (bon, d'accord, le "Trout Mask Replica" de Captain Beefheart est pas mal non plus). Par la suite, Mike Patton rejoindra John Zorn pour un certain nombre de projets plus ou moins réussis et Trey Spruance formera Secret Chiefs 3 prolongeant d'une certaine manière l'esprit totalement allumé de Mr Bungle.
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