Steve Hackett n'a jamais caché son amour de la musique classique, même si ce n'est qu'un peu tardivement qu'il a approfondi sa connaissance de ce type de répertoire. Pourtant écoutez les premières notes de Horizons sur "Foxtrot" de Genesis : c'est un petit hommage à la première suite pour violoncelle solo de Jean-Sébastien Bach. En 1983, Hackett sortait son premier album instrumental pour guitare classique avec ses propres compositions, "Bay of kings". En 1988, "Momentum" démontrait son évolution en tant que guitariste et compositeur et depuis, son talent et sa technique n'ont cessé de s'affirmer (cf. ses deux albums pour guitare et orchestre, "A midsummer's night dream" et "Metamorpheus").
"Tribute" est en fait le premier album où il rend hommage non seulement au répertoire classique mais au guitariste qui lui a fait vraiment découvrir les œuvres de ce genre pour guitare et d'autres encore qu'il a parfois adapté : Andres Segovia. Sur ce disque, qui pour la première fois depuis assez longtemps n'est pas sorti avec le partenariat d'InsideOut Music, le guitariste reprend toute une série de pièces classiques, certaines célèbres et d'autres bien moins connues, auxquelles il a rajouté 3 nouvelles compositions personnelles. L'album est également son premier basé à 100% sur la guitare classique. Cette fois, aucun synthé orchestral, aucun accompagnement, pas de contribution à la flûte de son frère John (qui, lui, est de formation classique et l'accompagne depuis très longtemps). La guitare règne en maîtresse absolue tout du long. Hackett, toujours amoureux des sons et des textures autant que de la musique, a été jusqu'à rechercher à reproduire la profondeur particulière des enregistrements des années 20 ou 30, mais en stéréo et sans leurs défauts de distorsion. De fait, la guitare possède ici un son chaud et légèrement brillant, chantant, assez particulier, que le musicien avait déjà essayé d'obtenir à l'occasion sur quelques titres plus anciens.
Le compositeur proéminent sur cet album est J.S. Bach, avec pas moins de six compositions sur un total de treize, dont le fameux hymne "Jésus, que ma joie demeure", deux préludes et une version de la fantastique et si complexe "Chaconne" plusieurs fois adaptée pour guitare à partir de la suite n°2 pour violon solo. Plus de 12 minutes de ravissement et de surprises, car ce morceau au thème principal plutôt solennel est, comme plusieurs autres de Bach, situé hors du temps, incomparable à tout autre pièce de l'époque, à la fois ancien et complètement révolutionnaire, d'une structure apparemment très libre et pourtant parfaitement écrit et porteur d'une grande émotion. Si le côté "musique ancienne" est confirmé avec une courte pièce de William Byrd, et une pièce traditionnelle, les compositeurs plus récents n'ont pas pour autant été oubliés comme le pianiste espagnol Enriqué Granados (superbe et complexe "La maja de Goya" où on a l'impression d'entendre plusieurs instruments) et le guitariste virtuose paraguayen Agustin Barrios (émouvant "La catedral").
Côté compositions personnelles, deux courtes pièces "Cascada" et "Sapphires" démontrent une fois de plus l'amour du guitariste pour la coloration musicale avec des cascades d'arpèges fluides familiers pour ceux qui connaissent ses albums solo (y compris ceux des débuts, où la guitare classique a toujours eu une place non négligeable). Cependant, c'est son long morceau "The fountain suite" qui force l'admiration : une pièce à tiroirs de plus de 8 minutes aux atmosphères changeantes, qui nécessitera bien des écoutes attentives pour être pleinement appréciée.
Beaucoup de finesse en définitive et un peu d'une virtuosité qui n'est jamais gratuite ni envahissante, quoique particulièrement impressionnante de temps à autre. La musique sur ce "Tribute" peut souvent être qualifiée de romantique, parfois lumineuse, souvent mélancolique, quelquefois plus sombre. Même au travers de ce répertoire en grande partie essentiellement classique, Steve Hackett conserve sa personnalité et la qualité et l'émotion de son jeu en font un des plus grands guitaristes de notre temps.