Treize ans que votre serviteur et quelques têtus attendent ce moment. On avait suivi avec attention les efforts solo de Nuno Bettencourt avec ses différents projets: Nuno, Mourning Widows, Population 1 ou Dramagods, mais l’instabilité des lines-up nous avait toujours laissé penser à l'éventualité de la reformation. Et ce n’est pas la tentative, audacieuse mais avortée, de Gary Cherone avec Van Halen pour un disque qui ne restera pas dans les annales, qui avait pu nous rassasier d’entendre le gosier torturé du chanteur, ni même son album solo passé quasiment inaperçu avec Tribe of Judah.
Bref, au fils des années nous gardions l’espoir secret, mais sensé, de mettre un cinquième album d’Extreme dans nos platines. Ce moment est arrivé après plusieurs mois d’attente, et au moment d’ouvrir la cellophane entourant l’objet, de vieilles réminiscences remontent à la surface: un sentiment de plaisir pur que l’on éprouve que pour les grands évènements. Et ce qu’il y a de grisant avec ce genre de disque est que rien ne peut nous décevoir fondamentalement, car l’envie est trop grande d’entendre les riffs de Nuno ou la voix très expressive de Gary.
Saudades de Rock est donc le cinquième album des bostoniens d’Extreme, dont le line-up n’a changé que pour un quart avec l’arrivée du complice de Nuno, Kevin Figueiredo (Dramagods, Perry Farrell), à la batterie.
Le premier sentiment est la qualité de la production, encore une fois l’œuvre de Nuno Bettencourt, qui retranscrit l’énergie du groupe avec fidélité, dans un esprit brut et moderne. Le son, comme l’ensemble des compositions de l’album, est un bon compromis entre les albums Waiting For The Punchline, III Sides To every Story et les albums solo de Nuno. La guitare sonne sans trop d’artifice en rythmique et avec quelques légers effets pour certains soli. C’est un bonheur d’entendre la Washburn N4 à travers un bon ampli à lampe sans fioritures. Le jeu de Figueiredo est précis et groovy, à mi-distance du jeu trop linéaire de Paul Geary et de la frappe trop technique de Mike Mangini. Extreme semble enfin avoir trouvé un batteur adapté à sa musique. Pat Badger est toujours aussi discret derrière sa basse mais assure de belles parties à l’unisson avec Nuno. Enfin, Gary Cherone, dont on se demandait s’il relèverait le défi de la musique assez exigeante d’Extreme après treize ans d’hibernation, nous rassure presque totalement. En effet, à part certains passages dans lesquels il tire trop sur sa voix (comme sur « Last Hour »), il est resté un excellent front man qui sait adapter sa puissance en fonction du morceau.
Concernant la musique, elle reste très proche du style qui a fait les belles heures d’Extreme, avec son savant mélange de funk et de métal. On pense souvent à Queen pour les harmonies vocales ou mélodiques ( « Star », « Peace ») ou à Led Zeppelin pour la décontraction presque blues de certaines rythmiques (« Slide », « Learn To Love »). Extreme s’égare quelques peu en osant la country sur « Take Us Alive », la chanson trop évidente à la Foo Fighters « Flower Man », le couplet presque rappé de Nuno sur « King Of The Ladies » ou la ballade arpégée sans réelle surprise « Last Hour ». Mais le reste de Saudades de Rock est de bonne facture… sans plus. De bonnes séquences viennent nous rassurer comme les fantastiques ponts et parties instrumentales de « Star », « Confortably Dumb » ou « Learn To Love » (excellent groove de grosse caisse du batteur) sur lesquelles les trois musiciens s’entendent à merveille.
Les années passées à pratiquer la musique dans d’autres sphères ont relativement marqués les deux cerveaux du groupe. On pense notamment aux harmonies vocales de Cherone sur « Ghost », cette ballade au piano proche de ce que peut faire Radiohead avec ses modulations similaires au titre « Once » issu de l’album III de Van Halen. Nuno reste aussi très empreint de ses dernières compositions et inspirations plus pop-rock comme en témoigne « King Of The Ladies ». Il se permet même de reprendre une de ses ballades, « Interface », issue de son dernier groupe Dramagods, sur laquelle Gary Cherone tient le rôle de chanteur principal. Agrémenté de chœurs et d’un beau solo, ce titre gagne en émotion par rapport à l‘originale. On peut quand même se questionner sur l’opportunité de cette reprise sur cet album.
Les albums d’Extreme sont autant une collection de titres très mélodiques et rempli d’énergie qu’une mine de riffs et de soli du dieux de la guitare Nuno. Votre serviteur a passé des heures à astiquer son manche (de guitare) pour essayer de jouer les soli excellemment construit et d’une extrême inspiration. Pour Saudades de Rock, Nuno reste quelques peu avare en soli dévastateurs. A part pour « Run », « Slide » ou « Interface », dans des styles différents, Nuno n’a pas la même verve que par le passé pour créer de véritables pièces de guitare soliste, parfois dissonantes, toujours éclatantes. Le côté « jam » s’est imposé dans ses interventions et il semble plus coller aux gammes et modes que jamais. Malgré tout, il est très intéressant d’écouter au casque cet album pour entendre les nuances qu’il recèle. Si Bettencourt brille moins en solo, son travail minutieux de guitariste imbibe chaque mesure de petits détails et notes bien choisies.
Il ne faut pas oublier que treize années se sont écoulées et que les automatismes ne sont peut être pas tous être enclenchés au sein du groupe. La fibre revendicative et engagée qui nourrissait les textes de Nuno et Gary est toujours présente (« Peace ») et reste le ciment de leur collaboration. Pour un album « come-back », c’est tout à fait honorable et on ne peut leur reprocher une haute dose de sincérité. Comme on l’indiquait en introduction, le plaisir est tellement important d’entendre à nouveau les bostoniens qu’on en est inévitablement indulgent. On peut tout de même rester optimiste pour l’avenir car les expériences de Nuno en solo, avec Perry Farrell pour Satellite Party ou ses travaux de compositeur pour la musique du film « Smart People » et de producteur ont ouvert de nouvelles perspectives pour l’inspiration. Ce qui est sûr c’est qu’Extreme est de retour avec du nouveau matériel, et que tout nous laisse à penser que ce Saudades de Rock n’est que le début d’une nouvelle aventure.