Un nouvel album des forgerons anglais, pionniers du heavy métal dans le milieu des années soixante dix, reste toujours en soit un événement dans le bien nommé "petit monde" du métal. En effet, trois ans après "Angel Of Retribution", relativement bien accueilli par les médias spécialisés et les fans, Judas Priest a tout de même fait les frais de nombreuses critiques, notamment fondées sur un cruel manque de renouvellement de leur part. Pour résumer, cet album a surtout permis de sceller le retour de Rob Halford au sein du Priest. Alors qu’ils auraient pu tranquillement rééditer un opus dans cette lignée, le combo aborde ses trente cinq ans de carrière discographique sous les auspices risqués du concept album avec "Nostradamus".
Cette œuvre relate les contours de la vie de Michel De Notredame, célèbre visionnaire du XVIème siècle dont les écrits demeurent encore sources de bon nombre d’inquiétudes quant à l’avenir de la race humaine. Pour permettre d’appréhender au mieux ce que furent les préoccupations de Nostradamus, Judas Priest n’a pas hésité à fournir un travail extrêmement fouillé pour aboutir à cet album concept qui dépasse tout de même les cent minutes. Une véritable avalanche de titres qui évidemment nécessite plusieurs écoutes pour en cerner toutes les nuances. En effet, ce double CD est composé de vingt trois plages dont neuf interludes en forme d’introduction assez calmes et quatorze véritables titres assez longs, dépassant souvent les sept minutes. Alors plongeons sans plus attendre dans les méandres de ce concept album entièrement consacré à Nostradamus.
Le premier élément frappant, dès la fin de l’introduction "Dawn Of Creation", est relatif à l’utilisation du clavier, instrument apparu au milieu des années quatre vingt chez Judas Priest avec l’album "Turbo". Même si "Prophecy" revisite un heavy plus traditionnel mais néanmoins très accrocheur, la réelle différence que constitue "Nostradamus" par rapport à ses prédécesseurs est flagrante sur le titre suivant, "Revelations". Les notes de claviers y sont prépondérantes, mais l’utilisation demeure complètement différente de celle distillée sur le controversé "Turbo". Et d’ailleurs, il en sera ainsi sur l’intégralité de "Nostradamus". Mais il faut cependant rappeler que ce type de sonorité apporte des ambiances collant judicieusement autour des différents thèmes proposés sur ce disque concept. Seulement attention, les synthés interprétés entre autre par Tipton et Downing n’entachent absolument pas les duels toujours furieux et lumineux des deux guitaristes. Encore beaucoup de claviers sur l’épique "War", mais résonnant dans un contexte lourd, belliqueux et bien imagé à l’unisson des roulements de caisse clair très appropriés pour relater tous les méfaits d’un champ de bataille.
Ces deux morceaux peuvent déjà faire grincer des dents les plus intégristes des fans du Priest, mais "Pestilence And Plague" enfonce encore un peu plus le clou avec des sons de claviers toujours envahissant et des échanges de six cordes percutants dans un contexte encore une fois très heavy avec un refrain chanté en italien. Des sons de cloches inquiétants résonnent à l’annonce de "Death", ultra lourd et carrément à la frontière du doom, domaine sur lequel Judas Priest ne s’était pas encore posé. Cette pièce longue et inquiétante reflète surtout un sérieux travail d’écriture et s’en retrouve par conséquent aussi inhabituelle qu’intéressante. "Conquest ", plus conventionnel, met particulièrement en valeur les prouesses vocales de Rob Halford. La belle ballade "Lost Love" laisse présager une fin de premier acte des plus énergiques. Et c’est tout entendu avec "Persecutions" qui clôt ce premier CD dans une ambiance complètement métallique où un nouvel échange de soli resplendissant force le respect envers les deux six cordistes.
L’acte II reste ancré dans ce climat où résonent toujours et encore les claviers, à l’image du touchant "Exiled" qui s’enchaîne sans interlude à "Alone", longue pièce ponctuée de notes et d’accords acoustiques et sur laquelle Rob Halford pousse (enfin) dans les aiguës sur le refrain. "Visions" surprend également sur fond de rythmique quasi indus. La seconde ballade "New Beginnings" risque une fois encore de fortement déplaire à la faction la plus dure des priestmaniacs, car jouée dans une atmosphère planante et mélancolique. Deux gros morceaux sont ensuite à l’honneur pour conclure ce second acte, à commencer par "Nostradamus" dont l’impact des riffs brutaux et impartiaux s'en ressort aussi heavy qu’immédiat. Le terrassant "Future Of Mankind" pesant comme un mammouth parvient à conclure cette œuvre ambitieuse de la manière la plus puissante qu’il soit.
Encore sous l’onde de choc de ce déluge musical, il faut pourtant bien se décider à admettre que Judas Priest possède encore suffisamment de cordes (vocales et instrumentales) pour repousser davantage les limites de son propre heavy metal. "Nostradamus" est le reflet d’une œuvre aboutie riche en émotions mais également en décibels. Tour à tour lyrique, épique et symphonique, cet opus généreux n’en a pas fini de partager les opinions. Mais en tout état de cause, cette prise de risque après une si longue carrière couronnée de succès prouve que ces cinq musiciens viennent de réaliser un acte censé et courageux. En tout cas, à travers cette forteresse nommée "Nostradamus", Judas Priest affiche clairement une santé de fer et un moral d’acier. Au fond, quoi de plus naturel à l’égard des géniteurs du british steel…