En juillet 2007 sortait le premier album d’une formation lilloise, Masala, constituée en 2005 autour de trois musiciens principalement venus de la scène métal (Franck étant membre de Tronchk, Mathys et Fred de Treponem Pal), mais attachés aux idées d’ouverture musicale, de renouvellement et de découverte perpétuelle. Etrangement, et malgré des concerts toujours très intenses, « The Drifter » passa relativement inaperçu en France. Un an après, il était temps pour le chroniqueur de prendre connaissance de cet album, à bien des égards surprenant, et de le hisser au statut qu’il mérite assurément, celui d’excellent premier essai, proche du coup de maître, et très bel espoir pour la scène rock-métal française.
Car dès la première écoute, tout amateur de métal fusion, et plus généralement, tout mélomane sensible au mélange des genres à la Faith No More, au groove hérité de groupes comme Primus, à une technique sans faille mise au service de superbes mélodies généralement sublimées par un chant d’une grande diversité… bref, toute personne pour qui la musique ne se résume pas à NRJ ou MTV, devrait ressentir au fond de lui l’exaltation un peu ahurie de celui qui n’attendait rien de particulier mais brusquement reçoit tout. Car c’est bien un choc esthétique qu’il faut évoquer à propos de la musique délivrée par ce power-trio qui, sans complexe aucun, nous assène une formidable leçon de composition et d’interprétation.
L’album s’ouvre sur "The Drifter", concentré d’énergie pure, gros riffs en pagaille et voix agressive sur des lignes de basse incroyablement groovy, que le batteur s’ingénie à complexifier pour notre plus grand bonheur. Signalons d’ailleurs au passage que dès le deuxième morceau, "My Friend", la référence qui vient immédiatement à l’esprit, sans qu’elle semble pour autant être revendiquée, est Thessera, groupe de métal prog qui ne craint pas d’intégrer des éléments jazzy à une musique fort agressive. Le batteur propose en effet un jeu proche de celui de Fernando Cerutti, avec une surenchère de cymbales et de caisse claire alternativement frappées en contre-temps. Chaque morceau regorge par ailleurs de trouvailles rythmiques et de breaks dévastateurs, qui associés à une inventivité harmonique et stylistique des plus maîtrisée, ne permet jamais à la lassitude de poser ses brumes grisâtres sur cet album haut en couleurs.
Couleurs au pluriel, car outre la richesse de l’instrumentation (on peine à croire parfois qu’il s’agit d’un trio tant la diversité est au rendez-vous), le chant apparaît comme l’un des grands atouts de la formation. Les contrastes sont frappants entre la rage de certaines lignes vocales jetées sans grand souci mélodique, dans une optique parlé/rappé/hurlé proche de la scène néo-métal, et la suavité au charme dangereusement androgyne d’autres parties, intensément lyriques, où l’on reconnaît l’influence de Cedric Bixler Zavala, chanteur du groupe The Mars Volta. A cet égard, le morceau "The Drifter II" se révèle être l’un des plus excitants de l’album.
Oui, c’est bien d’excitation et de fébrilité dont je parle ici, car peut-il en être autrement lorsque un groupe propose un tel premier album ? "School Staff" est un instrumental funky particulièrement jouissif, où les trois musiciens s’expriment avec une rare liberté, aussi bien en accompagnement (bassiste et batteur) qu’en solo (le guitariste se fend de soli allant jusqu’à rappeler le maître incontesté qu’est Steve Vai). Sur "Out Of Time", le groupe utilise à plein ses talents de mélodiste et l’incroyable tessiture vocale de Franck Da Silva, tout cela sur un rythme de valse à trois temps qu’une magnifique partie de violon s’en vient sublimer. Et le dernier morceau renoue avec la puissance et la noirceur du hardcore, dans une ambiance proche du groupe français Watcha.
Aussi les amateurs de métal ne seront pas dépaysés, mais, et c’est là que réside le tour de force, ceux de jazz, de funk, voire de pop-rock alternative à la Radiohead, ne le seront pas plus. Ou bien peut-être le serons-nous tous, tant cette musique se joue des codes, des genres… et des impératifs commerciaux (auto-production, diversité stylistique tourbillonnante, texte engagé sur "Planet Earth", véritable plaidoyer écologique). Et pour tout cela, nous devons un grand merci à ce groupe qui, je l’espère, saura continuer à révolutionner la scène rock française !