Gotthard nous avait déstabilisé avec son précédent album (« Open »), délaissant son hard-rock mélodique et énergique pour un rock plus FM que hard. Ce virage commercial était certes de qualité, mais il laissait tout de même, comme un arrière goût de trahison. Doté d’un titre encourageant, « Homerun » (« retour à la maison » pour les non anglophiles) déboule donc sur nos platines avec l’espoir que ce retour soit bien celui vers le style de prédilection du combo suisse. Et autant le dire tout de suite, il y a tromperie sur la marchandise car cet album est dans la droite lignée de son prédécesseur.
En même temps, il est difficile de reprocher à Lee, Leoni et consorts de ne pas quitter un chemin qui se révèle particulièrement lucratif, d’autant que le quintette y semble plutôt à son aise. Il est vrai qu’avec un chanteur de l’envergure de Steve Lee, aucun style oscillant entre rock et hard rock ne semble pouvoir être exploré sans réussite, tant le vocaliste est à son aise dans tous les registres abordés. Tour à tour charmeur, percutant ou émouvant, le frontman est l’assurance tous-risques du groupe. Comme d’autre part, aucun autre membre de la section instrumentale n’offre le flan à une critique quelconque, ce n’est pas du côté de l’interprétation que les helvètes risquent de se voir mis en difficulté.
Par contre, il en va autrement de l’inspiration et de l’originalité car les objectifs commerciaux restent tout de même trop visibles pour être ignorés. Et si l’ombre de Bon Jovi reste la plus imposante (« Light In Your Eyes », « Say Goodbye »), Gotthard réussit tout de même à piquer la recette de la ballade calibré FM mais efficace, propriété de Foreigner (« Heaven ») ou celle de la ballade acoustique à succès d’Extreme (« Lonely People »). Il va même jusqu’à pomper le riff syncopé et orientalisant du « Tokyo Nights » de Krokus (« Eagle ») et celui du mid-tempo « Is This Love » de Whitesnake (« Reason To Live »). Mais ce qui est le plus agaçant dans l’histoire, c’est Leoni et sa bande réussissent la fabuleuse pirouette de dérober tout cela avec classe et à le noyer dans des titres qu’ils arrivent finalement à personnaliser. Et voilà Gotthard qui devient le Arsène Lupin de l’Aor : « gentleman pompeur » pourrions nous dire… Tout ceci est d’autant plus irritant que le combo est également capable de nous servir quelques petits brûlots de pop-Aor (« Everything Can Change », « Take It Easy » ou « Come Along ») et même d’un hard-FM dynamique et efficace doublé de percussions originales et d’un solo particulièrement réussi (« End Of Time »).
Et c’est sur le titre éponyme, power-ballade au refrain en forme d’hymne fédérateur un brin pompeux, interrompue par un break sans intérêt alourdissant l’ensemble, que prend fin cet album pour le moins troublant. En effet, il est difficile de savoir quel sentiment l’emporte, de l’admiration pour une interprétation sans faille et une qualité de composition indéniable, ou de l’agacement de voir un groupe sacrifier son identité aux sirènes commerciales au point d’en devenir parfois un pickpocket du riff. En ce qui nous concerne, nous retiendrons tout de même la qualité de l’opus, mais nous regretterons qu’il ne soit pas le retour aux sources qu’il laisse envisager de par son titre. Les routes qu’il empreinte son déjà la propriété de Bon Jovi, et le gang du New Jersey possède l’incontournable avantage d’en être le précurseur et d’en être un interprète bien plus sincère.