Pas évident de chroniquer sans tomber dans les superlatifs un groupe qui a à ce point éclaboussé la frange la plus extrême du métal hexagonal à grands seaux de testostérone pure. Dix sept ans plus tard, à l'écoute de ce "Enjoy the Violence", ça sent encore à plein nez : Massacra, ça ne rigolait pas, son auditoire encore moins. Véritable exutoire pour une jeunesse paumée, la musique du groupe le plus violent que la France n'ait jusqu'alors jamais engendré fascinait et attirait dans ses fosses carnassières les plus vindicatifs des jeunes gaulois n'ayant pour but ultime que d'égayer la joyeuse kermesse par une débauche de sauvagerie débridée. Difficile alors de sortir du bouillon sans avoir à rassurer son intégrité physique, en lui priant de ne pas se formaliser des quelques modifications opérées ici et là : sous ces latitudes, le stage diver vole bas et groupé.
Faisant suite au Thrash/Death encore parfois maladroit de leur premier album "Final Holocaust" (titre censuré par la suite au profit d'un titre éponyme moins ambiguë) qui souffrait d'une production un peu faiblarde, la musique et les paroles du groupe montent d'un gros cran dans la violence et s'est mutée en Brutal Death sans concession. Massacra atteint un niveau d'agression encore jamais égalée. Une haine profonde, âcre et épaisse, transpire tout au long de l'album. Dissidents acharnés de la scène métal française, les tensions bien connues avec une presse hexagonale qui n'a de cesse de faire les yeux doux à un Loudblast opportuniste et largement surestimé sont à leur paroxysme. Les paroles apportent encore un peu plus d'eau au moulin des détracteurs du groupe avec notamment les textes jusqu'au boutistes des morceaux "Enjoy The Violence" et surtout "Atrocious Crimes", facilement détournables de leur propos initial pour ce dernier une fois interpretées au premier degré par quelque scribouillard effarouché. La guerre est ouverte, le groupe n'a pas sa langue dans sa poche et déserte médiatiquement quelque peu le pays pour l'Allemagne, qui a une culture extrême toute autre que la France alors tiers mondiste du métal en général.
Si Fred Duval monopolisait le micro par le passé, il se contente ici de beugler sur "Gods Of Hate", "Full Of Hatred" et "Sublime Extermination". Pascal Jorgensen s'affaire sur les six autres morceaux. Les vocaux sont bien plus imposants et puissants que sur "Final Holocaust", ça éructe parfois dans tous les sens mais les paroles restent toutefois audibles et les lignes bien accrocheuses conservent cet aspect 'chanson' (oui je sais que ce terme peut prêter à sourire dans le métal extrême) bien mémorisable avec des refrains repris à tue-tête en concert comme "Ultimate Antichrist" ou encore ce qui pourrait être l'hymne officiel de Massacra "Gods Of Hate". L'album est parsemé de riffs intuitifs qui sont des petits bijoux d'énergie pure. Un groupe comme Krisiun devrait en prendre un peu de la graine plutôt que de se contenter de blaster à tout va sans réelle inspiration. L'intro de "Near Death Experience", initiée par la basse menaçante, est elle d'une pesanteur écrasante.
Des petites maladresses perdurent toutefois ici et là. Par exemple le son de la claire pourrait claquer plus sèchement lors des blasts afin d'atteindre l'efficacité absolue escomptée. L'erreur sera réparée sur "Signs Of The Decline" qui sortira dés l'année suivante. Dispensable, l'explosion nucléaire qui clôture "Ultimate Antichrist" est n'ayons pas peur des mots, carrément kitsch.
A noter qu'une réédition a vue le jour en 2005 chez Rusty Diamond Records. La pochette fut quelque peu modifiée, plus de grosse marge rouge, le logo noir devient rouge et descend au bas du dessin. Cinq titres en rehersal datant de 1991 et deux titres live enregistrés en 1995 constituent les bonus par rapport à l'édition d'origine.
"Enjoy The Violence" est définitivement un disque intemporel, une forme sonore de haine absolue qui, n'en déplaise aux détracteurs de Massacra de l'époque, a laissé une empreinte indélébile. Alors que leurs soit disant concurrents s'enfoncent lentement mais sûrement dans les abîmes de l'oubli au fil des années, Massacra et particulièrement "Enjoy The Violence" restent une référence incontournable, les pionniers du métal extrême hexagonal.