Deep Purple sonne aujourd’hui à nos oreilles comme une figure de proue inamovible dans le monde du Hard Rock. Pourtant, en 1969, Deep Purple tourne en rond. Ritchie Blackmore, le leader, se sent à l’étroit dans le Rock classique que délivre la formation et souhaite changer l’air. La décision est radicale. Le bassiste et le chanteur sont virés et remplacés sans vraiment en être informés. Après un "Concerto For Group And Orchestra" à l’accueil plutôt mitigé, après des problèmes de label (faillite de leur label Américain), Deep Purple met presque un an à finaliser ce qui deviendra "In Rock", et leur ouvrira une autoroute vers le succès.
L’intro de "Speed King" nous laisse à peine le temps de nous préparer à ce qui va arriver, avec une furieuse cohue sonore qui débouche de façon aérienne sur un pont d’orgue, et ensuite… Ensuite, c’est le riff ultra puissant. Des accords ravageurs déchirés par la voix brûlante de Ian Gillan et martelé par une batterie légère et énergique. C’est ça aussi la force de Deep Purple. La batterie n’est pas un fond sonore lancinant. Leur musique est carrée et rythmée par nature, et Ian Paice peut se payer le luxe de survoler les compositions avec un jeu Jazzy et subtil. L’incendie est éteint en douceur par la basse et l’orgue qui part dans un solo mélodique, bientôt rejoint par Blackmore.
L’étonnant "Bloodsucker" présente un rythme Rock n’ Roll qui semble hésiter entre son riff cyclique et de nombreux breaks, parfaitement interprétés par un Ian Gillan rugissant. Puis arrive "Child In Time", emprunté au "Bombay Calling" d’ It’s A Beautiful Day dans lequel le groupe parvient à synthétiser tout son talent. Le clavier de John Lord est magnifique de présence et de sobriété. Un exemple pour de nombreux groupes utilisant à outrance les synthétiseurs les plus divers, pour n’obtenir qu’une soupe. Le son de John Lord est fait de pure soie anglaise. Tout en délicatesse, il parvient cependant à faire monter la sauce, aidé par Ritchie Blackmore, qui assène de plus en plus violemment ses accords comme s'il s’agissait d’une marche guerrière. Et que dire de Ian Gillan. Sa voix chaude de l’intro se remplie bientôt d’une anxiété, puis d’une véritable terreur. On sent tour à tour l’affolement, l’orgueil, la tristesse dans son chant, et bientôt il semble habité par la folie, délivrant des cris comme des hurlements de bêtes, mais maîtrisant à la perfection son organe vocal hors du commun. Le premier crescendo débouche sur un solo libérateur, orgasmique, joué par un Ritchie Blackmore en état de grâce. Puis ils repartent. Gillan monte à chaque fois plus haut, et le second crescendo est apocalyptique. En l’absence du solo catalyseur de Blackmore, le final s’effondre dans une éruption jouissive de notes en fusion.
"Fly Of The Rat" déboule ensuite avec son tempo rapide et son break à la Hendrix. Le chant de Gillan n’est pas sans rappeler un certain Greg Lake sur ce titre, avec en commun cette élégance très anglaise, même sur les parties les plus agressives. Sur "Into The Fire", le groupe montre sa virtuosité en jouant avec un tempo véritablement bancal. "Living Wreck" est une nouvelle tuerie, grâce au groove de la basse de Roger Glover. La guitare se fait râpeuse et nerveuse, et insuffle une grande énergie au titre. Sur le solo, Blackmore fait sonner sa guitare comme un orgue. Même constat sur "Hard Lovin’ Man", porté cette fois ci par l’orgue, très Rock, et conclusion superbement Hard à ce véritable bijou.
Malgré la jeunesse de la formation (Mark II date de 1969, le groupe de 1968) la formation fait preuve d’une incroyable cohérence. Chaque musicien est précisément à sa place et délivre la bonne performance au bon moment. Ce sont tous des prodiges dans leurs domaines et les individualités s’effacent pour se mettre au service du groupe. La musique est travaillée sans jamais aller chercher trop loin dans l’expérimentation et en se contentant de faire sonner parfaitement chaque titre, chaque arrangement, chaque solo… Une telle démarche, avec de tels musiciens, de telles compositions, et une production parfaitement adaptée au groupe ne pouvait donner naissance qu’à un type d’album : Le chef d’œuvre total.