Biblique, "Quarante jours sur le Sinai" l'est sûrement. Pour concrétiser le concept ambitieux d'un groupe inspiré par l'Egypte pharaonique, Nil s'est donné les moyens : un groupe complet, avec flûtiste/clarinettiste, et quelques invités : harpe, violoncelle, ce merveilleux instrument trop peu utilisé qu'est le saxophone soprano, et la narration exemplaire d'Audrey Casella. Le résultat ?
Epoustouflant. Il y a des groupes pour qui on parle d'influences. Ici, la maîtrise est trop forte. On doit parler d'égalité avec les grands groupes. Une décadence égale à Van der Graaf Generator, une recherche aussi charnue que King Crimson, une structure inégalée depuis "The Snow Goose" de Camel. Nul n'est besoin, dans le fond, de comparer Nil à d'autres groupes. Il deviendra lui-même un étalon d'ici peu de temps.
Car il y a du génie dans ce troisième album. Le groupe, originaire d'Annecy, souffre de ce mal propre aux groupes de progressif actuels : le talent brimé par la sous-médiatisation. Des gens assez créatifs pour se figurer la vallée des rois du haut de leur lac de montagne, assez expérimentés pour apporter une étincelle classique par ci, un trait de jazz par là, un soupçon de metal par dessus tout. Alors que certains se contentent de copier sans fin Genesis ou Marillion, Nil crée. Nil fait du prog', du vrai.
Au sein de morceaux tous enchaînés, la voix d'azur de Roselyne Berthet mène l'auditoire à travers le désert. Le rythme est perpétuellement décalé, la guitare s'arpège comme la harpe de l'histoire. Les voix conjuguées des deux reines de Nil vous replongent dans une ambiance presque enfantine, mystérieuse, une histoire que l'on aurait entendue avant de savoir tenir debout et dont on se souviendrait par bribes. Les sons que Nil exploite et étire en de fascinants courtepoints construisent une ambiance magique et on en redemande. Les morceaux, courts, s'enchaînent, brutaux, puis calmes.
Nil a créé une musique unique et libérée de toute contrainte. Pour certains c'est la définition même du rock Progressif. "Quarante jours sur le Sinai" est une gifle à l'intelligentsia musicale en même temps qu'une angoisse jubilatoire et sans cesse recréée pour son auditoire. Et ça valait bien une chronique pour faire connaître ce joyau.