Tout comme mon collègue Aladdin il y a trois ans, je dois commencer par avouer que je n’avais jamais entendu parler du groupe qui nous occupe dans cette chronique, à savoir Sieges Even, quatuor allemand officiant à la frontière qui sépare et simultanément unifie rock et métal progressifs. Cette lacune est aujourd’hui comblée avec l’écoute de l’album live « Playgrounds », qui regroupe principalement des morceaux tirés de leurs deux précédents efforts studio (voir nos chroniques), ainsi que deux titres exhumés de leur troisième album, vieux déjà de 17 ans (« A Sense Of Change », 1991).
Belle manière que de découvrir par l’intermédiaire du live un groupe chargé d’une histoire aussi ancienne ; le professionnalisme, après plus de vingt ans d’existence, ne peut pas ne pas être au rendez-vous. Et force est de constater que cet album non seulement bénéficie d’une production parfaite, apte à nous faire partager l’énergie du live et l’enthousiasme du public, mais présente également une prestation musicale sans anicroches, parfaitement réglée, techniquement irréprochable, et parfois même gorgée d’émotion. Que demander de plus alors ?
Une chose toute simple : la surprise. Les ombres entrecroisées de Rush et Dream Theater planent sur un ensemble de compositions qui n’atteignent jamais la qualité de celles des groupes sus-cités ; notamment s’agissant des morceaux tirés des deux derniers albums. "Unbreakable" sort sans doute du lot, avec, apparaissant aux 2/3 du morceau, un thème mélodique fort bien troussé, agréable, sucré et dans le même temps curieusement dérangeant, voire légèrement angoissant. De même pour "Iconic", au refrain très pop porté par des chœurs majestueux, Arno Menses évoquant alors un Jon Anderson maqué avec les forces de la pop-rock FM. Pour le reste, rien de nouveau sous le soleil, le groupe se contentant de respecter les codes du métal progressif, alors qu’il lui aurait fallu, pour sortir du lot, chercher à les transgresser. Au final, nous avons donc une alternance de passages bien heavy, à base de riffs généralement réussis, et d’espaces sonores plus apaisés, tressés d’arpèges et de subtilités rythmiques délivrées par des frères Holzwarth en grande forme ; les parties instrumentales combinent souvent les deux modes d’expression.
Mais les soli restent rares, les mélodies sont souvent assurées par le chant alors qu’il aurait été plus intéressant de les confier également aux instrumentistes, l’espace sonore semble parfois légèrement atrophié (sans doute l’absence d’un claviériste peut-elle suffire à expliquer cette impression), et surtout rien ne fait vraiment mouche. C’est finalement le titre "These Empty Places", présent sur l’album sorti en 1991, qui convainc le plus, une fois recontextualisé et examiné dans une perspective historique ; le métal progressif n’en était alors qu’à ses débuts, et l’on peut comprendre qu’avec un tel morceau, les allemands de Sieges Even aient marqué cette scène encore en construction. Mais aujourd’hui, ce ne sont plus eux qui écrivent l’histoire du métal progressif, si tant est qu’ils l’aient jamais écrite.
Il ne s’agit donc pas d’un mauvais album, loin de là, et je suis persuadé qu’il ne pourra que combler les fans du groupe. De même, il devrait convenir aux esprits curieux qui voudraient découvrir cette formation et compléter leur connaissance du métal progressif. Mais pour les autres, surtout pour ceux qui souhaiteraient établir un premier contact avec le prog, jeter une oreille sur ce « Playgrounds » ne me paraît pas indispensable, loin s’en faut. Le manque d’inventivité, de créativité, d’émotion même, l’absence totale d’effet de surprise combiné à une retenue instrumentale carrément handicapante au sein du genre privilégié par le groupe, tout cela me conduit finalement à déconseiller cet album, qui de plus supporte mal plusieurs écoutes. Preuve s’il en est que l’on ne se trouve pas, d’après moi du moins, en présence du monument progressif annoncé par certains…