Ce n’est pas faire injure aux autres membres du groupe que de dire qu’Aerosmith était un monstre à 2 têtes depuis ses débuts. Malheureusement, l’année 1979 a vu Steven Tyler et Joe Perry sombrer dans la drogue et il est devenu presque impossible de laisser les deux hommes dans une même pièce sans risquer une bagarre. Joe Perry a donc fini par quitter le groupe pendant les sessions de « Night In The Ruts ». Sur les conseils de Jack Douglas, il a été remplacé par Jimmy Crespo qui n’apparaît pourtant pas aux crédits de l’album. Dans un but bassement commercial, le remplacement de Perry par Crespo ne sera rendu public qu’au début de la tournée supportant le nouvel opus. Cette dernière va pourtant régulièrement flirter avec le désastre, Crespo n’ayant pas le charisme de son prédécesseur, et surtout, Tyler livrant quelques prestations dans un état lamentable du à sa dépendance. La conséquence de tout ceci sera le départ de Brad Whitford qui ne supporte plus le caractère despotique du légendaire chanteur. Pour insister sur le rôle prépondérant, malgré sa discrétion, du second guitariste du quintet de Boston, certains iront jusqu’à comparer son départ à celui inimaginable de Malcom Young d’AC/DC. C’est donc avec un duo de six-cordistes renouvelé à 100% qu’Aerosmith entre en studio pour enregistrer son septième album, Rick Dufay épaulant désormais Jimmy Crespo.
Voici donc une introduction historique certes un peu longue, mais indispensable pour se plonger dans l’ambiance au sein du groupe à l’époque, et comprendre l’angoisse qui paralyse alors les fans du combo. Pourtant, s’il dû essuyer une véritable salve de critiques à sa sortie, cet album n’est pas si mauvais que certains veulent le dire. Surtout, il vient apporter la preuve du génie d’un Steven Tyler s’accrochant désespérément à son groupe comme à une bouée de sauvetage, ainsi que la fiabilité à toute épreuve d’une section rythmique taillée dans l’acier le plus solide. Portez attention à la performance de Joey « drumming » Kramer sur « Bolivian Ragamuffin » et vous constaterez le génie du bonhomme qui réussit à dresser un mur de percussion avant d’enchaîner sur des contre-temps époustouflants. Pendant ce temps là, Tyler porte le groupe à bout de « voix ». Enchaînant les performances vocales au-dessus de la moyenne, le charismatique frontman est capable d’exécuter un chant rappé (encore « Bolovian Ragamuffin ») ou déchirant sur la reprise du standard jazzy « Cry Me A River », il se fait carrément chat en miaulant sur le refrain du très cabaret « Push Comes To Shove » qui conclut l’album.
Si nous rajoutons qu’aucun titre ne peut-être considéré comme vraiment faible et que l’album fait preuve d’une belle homogénéité avec des titres irrésistibles comme le hard rock speedé de « Jailbait », l’excellent hard rock’n’roll du titre éponyme, le sombre et heavy « Lightning Strikes », le hard-pop US « Bitch’s Brew » ou le semi-folk « Joannie’s Butterfly » et sa structure à tiroirs, vous vous demanderez sûrement où le bas blesse. Les guitares, nous répondrons-vous ! Bien sûr, la critique paraît facile, mais elle est pourtant incontournable. Loin de nous la mesquinerie de critiquer les qualités instrumentales du duo Crespo – Dufay qui assure un boulot sans faille et… sans plus ! Aucun solo ne retient l’attention. Aucune partie de guitare ne reste en mémoire après plusieurs écoutes. Il est évident que succéder à un duo aussi charismatique que celui composé par Perry et Whitford ne doit pas être dénué de pression, mais cette dernière semble figer leurs successeurs qui en deviennent presque transparents.
Dommage car cet album possède les qualités d’un bon album d’Aerosmith, mais il lui manque les interventions de Joe Perry pour le transcender, et la prestation d’un Whitford pour le propulser plus haut. « Rock In Hard Place » sera donc le premier album du groupe à ne pas devenir album de platine et à ne pas entrer le fameux American Bilboard Top 30. Et si les à priori face aux deux nouveaux venus y sont sans doute pour beaucoup, nous ne pouvons nier qu’il manque quand-même l’étincelle qui animait jusque là la plupart des albums d’Aerosmith.