"I", "II", "III", "IV", "House of The Holy". En l’espace de quatre années, voilà ce que Led Zeppelin sert à la table du Rock. Un festin qui n’a pas tiédi d’un degré, encore aujourd’hui. Un peu moins de 500 concerts sur cette même période. Il faudra attendre la fin de cette année 1973 pour que le groupe consente à ralentir l’allure. En effet, Robert Plant paye alors les excès du groupe et le rythme enflammé des tournées par une opération des cordes vocales, qui non seulement le laisse aphone près d’un mois, mais en plus diminue irrémédiablement ses capacités vocales. Le géant essuie là sa première blessure.
Temps mort... Chacun vaque à ses occupations, on se repose et on prend son temps pour accoucher de ce qui sera le premier double album du groupe. L'hyperactivité du début présente quand même ses avantages : Pas moins de sept chansons récupérées des sessions précédentes. Nous pourrions alors nous attendre à du matériel de récupération mais il n’en est rien pour la plupart. Le riff blues de "Custard Pie" est une énième réussite. "Down By The Seaside", véritable coup de cœur pour votre serviteur, mélange les ambiances et les couleurs dans un morceau à tiroir sobre et imparable. "Bron-Y-Aur", nouveau délice acoustique, démarre en toute simplicité et se voit incorporé au fur et à mesure des effets étranges. "House of The Holy", qui donna son nom à l’album précédent, est présente ici et s’avère un titre honnête du Zeppelin. "Back Country Woman" sort directement des entrailles du "III" et renvoie à "Gallows Pole", "The Rover" démontre à qui en doutait encore que Page est le créateur de riff par excellence. Et que de génie dans les arrangements de John Paul Jones sur ce titre. "Boogie With Stu" est un exercice de style amusant. En bref, et vous l’aurez compris, il faut vraiment faire la fine bouche pour trouver à redire sur ces fonds de tiroirs de luxe…
Là où Led Zep était vraiment attendu, c’était sur les nouvelles compositions. La fièvre créatrice les a-t-elle quitté ? Vont-ils pouvoir suivre la direction éclectique prise par "House of The Holy" sans perdre cohérence et crédibilité ? Réponse : oui et non. Comme d’habitude, Led Zep ne déçoit pas. Citons pour exemple le magnifique "Trampled Under Foot", bondissant à souhait, qui dériderait n’importe quel dépressif. Citons également le mélancolique "In My Time of Dying", ou l'on découvre que le groupe peut aussi nous transporter calmement vers des horizons étranges. Une véritable bonne surprise vient d' "In The Light", aux sonorités expérimentales, qui ouvre le deuxième CD avec l’intention affichée d’attiser la curiosité, et relève d'ailleurs le pari haut la main. Le sombre "Ten Years Gone" est un morceau qui prend son temps pour démarrer et montre la richesse harmonique des compositions du groupe.
Et pour les sceptiques, Led Zep a une surprise. Une surprise en la présence d’un chef d’œuvre. Il convient de dire que "Kashmir", est l’un des titres, voire le titre le plus abouti du groupe, tous albums confondus. Le goût de Page et Plant pour les sonorité aventureuses, pour le pompeux, et en l’occurrence pour le Sahara marocain, se retrouve avec intégrité et génie dans cette majestueuse pièce de plus de huit minutes. Les arrangements mettent en valeur un orchestre et des cuivres très à propos. L’approche mélodique peut d'abord sembler ingénue mais elle se complexifie, enfle, et gonfle le cœur d’émotion jusqu’au final. Plant transcende l’idée de chanteur de Rock et nous emmène au milieu d’un monde inattendu, surtout au milieu de l’album d’une telle machine à fric occidentale.
Alors que faut-il conclure sur un tel objet ? Début de la fin pour certains, inamovible fin du début pour d’autre, Physical Graffiti est un de ces albums dont l’impact est trop grand pour être assimilé directement. Derrière le coté patchwork de l’œuvre globale, certains morceaux possèdent un génie avant-gardiste. Certes la voix de Plant n’est plus au rendez-vous, Page semble moins présent, Bonham est moins brutal. Le groupe n’a plus la folie qu’il avait, et le tout souffre d'être péniblement étalé sur deux CDs. Cependant, le travail studio est superbe et me pousse à comparer audacieusement Physical Graffiti à un certain Sgt. Pepper des Beatles, eux aussi fatigués par les folies de la scène. Et si les avis sont partagés, personne ne restera indifférent à ce qu’il dégage : tout le grandiose de Led Zeppelin.