Le constat est simple. Bien que la production d’albums de guitaristes instrumentaux soit grandissante depuis quelques mois, peu de musiciens arrivent à susciter un intérêt réel. Parmi les valeurs sures on retrouve souvent les maîtres de la guitare comme Joe Satriani, Steve Vai ou Steve Morse. Malheureusement sur ces trois instrumentistes majeurs, deux restent très avares en productions depuis pas mal d’années maintenant et quand on sait l’importance de leur propos dans les inspirations de la majorité des guitaristes, on ne peut qu’être pessimiste sur les mois a venir.
Heureusement la situation n’est pas aussi noire. Le navire s’a pas encore sombré, et l’exemple le plus frappant est la sortie du nouvel album de Dave Martone, Clean. Pour resituer les choses, Dave Martone est un guitariste canadien qui arrive encore à réjouir l’auditeur exigeant avec ses albums. Le dernier en date, When The Aliens Come avait enthousiasmé la rédaction (cf l’excellente chronique de Megadave) avec un album varié et rafraichissant. Se plaçant musicalement en droite ligne des deux maîtres Vai et Satriani, Dave était allé jusqu’à donné un titre d’album se référant directement à ces deux géants. C’est donc avec un bonheur non dissimulé que Clean est annoncé. Bonheur d’autant plus grand que cette sortie n’est séparée que de quelques semaines avec celle du dernier Rusty Cooley et de la déception qui va avec. Pour venir rendre hommage au canadien, plusieurs pointures sont venus poser leur solo sur cet album: Joe Satriani, Jennifer Batten, Greg Howe et Billy Sheehan. Daniel Adair (Nickelback) est toujours aux baguettes et Dave Martone se charge du reste des instruments.
Les onze titres de Clean sont autant de démonstration de l’incroyable toucher de Martone et de son inspiration florissante. Il possède un bagage technique époustouflant qui lui permet de tout aborder mais c’est la manière qu’il a de faire sonner les plus anodines notes qui fait de lui un guitariste enthousiasmant. Le morceau « Dinky Pinky » est la preuve de cette vérité. Après une introduction très enflammée avec rythme enlevé et technicité, la température redescend radicalement pour une intervention de Billy Sheehan qui fait sonner sa basse comme une guitare baryton. Martone prend la suite de Sheehan pour venir achever ce morceau.
« Coming Clean » illustre la finesse du doigté du personnage lors de ce morceau en son clair très Beckien, dans lequel on se laisse porter par la mélodie et le rythme très épuré. Trop peu de guitaristes se laissent aller à l’exercice son clair, sans doute car celui-ci est trop sélectif et classe d’un côté les guitaristes sachant faire sonner leur instrument et les autres. L’influence de Satch n’a jamais été aussi manifeste chez Martone, que ce soit dans le très jovial morceau d’ouverture « The Goodie Squiggee Song » ou l’excellent « Nail Grinder » dans lequel Satch vient poser un solo très personnel. On a souvent classé Dave Martone dans la musique instrumentale futuriste car souvent empreinte de rythmes technoïdes et de sons originaux. Dans Clean, cette facette est moins flagrante même si l'on retrouve la dose de modernité inhérente au personnage dans beaucoup de compositions (« Turn On The Heater »). Sur « If I Was a Piano », Martone reste dans l’inspiration au son clair avec un morceau très proche du « Ballerina » du Passion & Warfare de Steve Vai. Les morceaux rock très marqués par le côté intergalactique des deux génies susmentionnés sont très bien représentés avec « Moron Face » (superbe intervention de Jenifer Batten) ou « Angel Fish ».
« Hard Wired » est plus expérimental, avec passages jazz-rock brillants et solo débridé de Greg Howe. Les changements de rythmes sont intelligents et les touches de modernité (l’intro par exemple) se marient parfaitement avec certaines séquences plus traditionnelles du jazz-rock (les gammes utilisés). « Bossa Dorat » fait partie des moments forts de cet album, avec un rythme bossa très euphorisant dans lequel Dave se permet d’insérer de nombreuses phases très techniques. Ceci sans asphyxier l’homogénéité d’un morceau qui laisse une large part à une incroyable expressivité. Malgré les couleurs très vives qu’inspirent ce morceau, Dave Martone arrive à soutirer de l’auditeur différents sentiments contradictoires. En quelques notes on passe d’une profonde joie à une douce mélancolie. Martone nous emmène ainsi là ou il veut.
Sans révolutionner le genre, Dave Martone apporte un vrai bol d’air à la guitare instrumentale en perpétuant le style rendu populaire par Vai et Satriani. Si Clean n’est pas un disque tribute à ces deux géants, il leur rend hommage de la plus belle des manières en proposant des compositions riches en intérêt et en fidélité. Clean est moins original dans l’approche que When The Aliens Come mais le parti pris est un certain classicisme vers lequel il est parfois bon de revenir avant d’entrevoir une nouvelle révolution. Il y a fort à parier que si révolution il y a, c’est vers Dave Martone qu’il faudra en chercher les indices. Dans le cas présent, Clean réussit le pari de la modernité sans renier ses racines. Les compositions sont inspirées et solides et l’exécution est sans faille. Définitivement, Dave Martone est à placer dans le cercle très fermé des guitaristes à la classe et au charisme évidents. Ne passez pas à côté du disque de guitare instrumentale de l'année.