Chacun le sait, il est extrêmement difficile de considérer un album en dehors de son contexte. Ce contexte à double tranchant, aveu ou excuse, tremplin ou entrave, est la grille de lecture inévitable de toute œuvre majeure. Cette constatation fut particulièrement d’actualité lorsque parut le septième opus de Led Zeppelin. Inutile de vous refaire l’histoire, les clichés parlent d’eux même : Led Zeppelin est un groupe de hard rock arrogant qui subira de plein fouet la crise du rock de la fin des années 70, et donc l’émergence d'un mouvement Punk qui prône le retour à la simplicité, et qui fait l'apologie de l'ignorance.
Il faut dire que pour les détracteurs des groupes « dinosaures », l’occasion est trop belle. Ce qui ne se voyait qu’a moitié sur "Physical Graffiti", puisque noyé au milieu de compositions antérieures, explose au grand jour sur "Presence" : Le son Led Zeppelin a changé. L’opération de la gorge que Robert Plant garda secrète pendant des années a eu raison de sa capacité à hurler du Blues. L’héroïne dans laquelle Jimmy Page s’enferme petit à petit aura raison du son jeu exubérant et nerveux qui a permis au groupe de créer des tubes comme "Whole Lotta Love" ou "Black Dog". Robert Plant est marqué en outre par l’accident dans lequel il a failli perdre sa femme, et qui lui fait vivre les sessions de l’album en fauteuil roulant. John Paul Jones, en proie au doute, songe à quitter Led Zeppelin. Bonham vit mal d’être éloigné de sa femme (qui accouche à cette époque) à cause des tournées. « C’est de loin l’album le plus chargé d’émotions que nous ayons composé » dira Jimmy Page. Nous le croyons bien volontiers.
Les vents contraires que le groupe subit se ressentent en effet dans la musique de l’énigmatique "Presence". L’influence des voyages dans l’épique "Achille’s Last Stand", les remords sur une vie trop Rock n’ Roll et usante dans "Nobody’s Fault But Mine", la solitude de Robert Plant sur le sublime "Tea For One", véritable joyaux de Blues dans la lignée d’un certain "Since I’ve Been Loving You", et composé en repensant aux thés solitaires pendant l’hospitalisation de Maureen (Plant). Tous ces titres transpirent d’émotion et de sincérité. Heureusement pour l’auditeur, ils sont aussi magiques. "Achille’s Last Stand" est sans doute un des plus grands titres (le dernier grand titre ?) de Led Zep, avec son rythme effréné et ses soli imparables. La précision et le groove sont au rendez-vous sur "For Your Life" et "Royal Orléans", dans lesquels la guitare de Page est parfaitement dosée, révélatrice du coté méticuleux du guitariste. Sont redécouverts le swing de Jonesy, la finesse de Bonzo.
Circonstances obligent, Plant n’est pas aussi fou qu’à l’habitude... Pas de cris du type de ceux poussés sur "Communication Breakdown". Pas non plus de solo supersoniques du prodige Page, comme sur "Good Times, Bad Times". Pas de morceaux acoustique et encore plus curieux, les claviers qui s’immisçaient depuis "House of The Holy" ont pratiquement (et temporairement) disparus. Bien entendu tout cela pourrait faire penser à une baisse de régime, et c'est bien là le problème du contexte. "Presence" souffre d’être un album de Led Zeppelin, groupe qui à porté le Hard Rock au sommet, et qui est maintenant victime de la comparaison avec lui-même.
Quand j’écoute "Presence", je ne vois pas Robert en pantalon rouge hurler sur une scène de la fin des années 60, pendant que Jimmy parcours son manche à la vitesse de l’éclair. Je vois Plant marchant à Agadir, je vois un Page taciturne triturant les tables de mixage pour obtenir ce son si parfait. Et je n’entends pas une baisse de régime, j’entends une maturité musicale exemplaire... De celles qui font des légendes.