1984, année riche en sensations métalliques. Comme Ratt, nous sortons de la cave. C’est un peu habités d'une âme de sœur tordue que nous voulons du rock. Bien que défenseurs de la foi comme le prêtre Judas, c'est à l’instar de WASP que nous nous sentons également un peu pervers sexuels. On multiplie les claquages et les fractures du coccyx à vouloir imiter les sauts en grand écart de David Lee Roth sur "Jump" de Van Halen. Heureusement pour compenser, dans les boums, nous emballons sec la petite effarouchée sur le tube planétaire du groupe à Schenker et Meine. Je n'évoquerai même pas l'électrocution que nous inflige Metallica, ni Slayer qui ne nous montre aucune pitié.
En revanche, 1984, c’est aussi l’année propice à nous prendre pour d’invincibles barbares. Il faut dire que cette année-là, tout s’y prête. C’est l’année de Conan Le Destructeur de Richard Fleischer mais également celle de la sortie du troisième album délectueusement guerrier de Manowar, "Hail To England". Une année où tout concourt à ce que, taillés comme des lémuriens, nous nous prenions pour le premier des Cimmériens.
C’est donc en partie vêtus de cuir et ayant hâtivement revêtu notre slip en peau de bête que nous nous imaginons en plein champ de bataille avec cet album. S’il ne fallait en retenir qu’un dans la discographie des guerriers américains, ce serait incontestablement celui-ci. Jamais un disque de Manowar n’aura dégagé une telle aura de puissance guerrière et tout concourt dans cet album à susciter cette impression. Tout d'abord, un artwork, certes assez laid, mais virilement et barbarement bodybuildé. Ensuite, des compositions bellicistes aux titres pour le moins évocateurs. Et, surtout, une musique à nous inciter à étêter de notre énorme épée le premier venu, surtout s’il est plus petit et plus faible que nous.
Manowar n’aura jamais fait une musique dégageant une telle sensation de puissance. Le son est énorme pour l’époque. La basse est quasiment et doublement omniprésente et omnipotente. Elle enveloppe de toute sa force les autres instruments, cantonnant la guitare de Ross The Boss, malgré les soli, dans un quasi second rôle de figuration rythmique. Et puis, il y a ce chant clair, époustouflant et envoûtant d’Eric Adams qui donne une dimension supplémentaire, héroïque, et quelquefois inquiétante, aux compositions du groupe. Il suffit d’écouter le final du titre "Hail To England" pour apprécier à sa juste valeur les capacités vocales du guerrier.
L’album "Hail To England" ou l'art de pratiquer hardiment et magistralement du gros heavy-métal, lourd, puissant, guerrier, parfois épique, qui sent bon le sang frais de l'ennemi vaincu. Mais "Hail to England" c’est également des chœurs de toute beauté sur "Blood Of My Enemies" ou un voyage pour l’au-delà avec "Bridge Of Death". Ce titre à l’interlude vocal et au final démoniaque, commence comme une douce épitaphe mortuaire pour se terminer en gros heavy de bienvenue en Enfer.
Cet album aurait pu être un chef d’œuvre sans ce terrible instrumental "Black Arrows", à l’introduction orale de descente abyssale, qui s’avère terrifiant dans tous les sens du terme. 3,05 minutes de tortures auditives, sans doute pour mieux nous faire apprécier, et franchir avec allégresse, le pont vers l'Ailleurs que constitue le magnifique et long titre final, "Bridge Of Death". "Hail To England" est un album majeur de Manowar et du heavy-métal en général. On finirait presque par se laisser convaincre qu’en 1984 tous les groupes de métal furent touchés par la grâce des Dieux de la musique.