Neodyme est un quatuor d’explorateurs sonores et musicaux. De cela, leur présentation sur Myspace ne laisse aucun doute ; n’y est-il pas écrit qu’ils parcourent « un monde imaginaire sans limite et tout en nuances » ?
Qualifier la musique délivrée par le groupe d’expérimentale serait certes abusif, mais il n’empêche que l’approche privilégiée s’inscrit dans une tradition de recherche et de renouvellement du processus de composition qui témoigne d’une originalité radicale. Celle-ci n’est pas tant à chercher dans l’emploi de la dissonance ou de cadences peu utilisées, encore moins dans l’emprunt aux meilleurs innovations de la musique contemporaine depuis les années 50, que dans l’exploitation systématique des possibilités offertes par l’instrumentation, acoustique (piano et cordes notamment) et électrique, la diversité climatique étant explicitement privilégiée ici. De même, la succession (et bien souvent l’enchâssement) des strates mélodiques et rythmiques crée une curieuse sensation de malaise, d’autant plus prépondérante qu’elle ne se veut pas immédiate, qu’elle insuffle lentement dans nos âmes tourmentées un venin puissant mais indolore. Et au terme de l’écoute, c’est bien un spleen terrible qui nous envahit, que plus rien ne peut suffire à tempérer.
Pourtant, la musique de Neodyme est loin d’être uniformément sombre, mélancolique et crépusculaire. La rythmique de bossa nova qui soutient la dernière partie du deuxième titre, "Pluie d’octobre", ou encore l’introduction typiquement cabaret de "Sarcastique", devraient réussir à nous faire gentiment claquer des doigts, marquer un rythme sautillant et de toute évidence singulièrement joyeux. La technique parfaite de l’ensemble des musiciens, alliée à une inventivité remarquable, l’éclectisme assumé des compositions et l’atmosphère globalement très métal progressif de l’album dans son ensemble, sont autant de raisons d’achever cette écoute dans la joie et l’émerveillement du mélomane satisfait.
Mais Neodyme ne nous laisse pas nous blottir au creux de cette chaleur lénifiante que procure le sentiment d’avoir découvert un bon album. Non, Neodyme dérange, nous pousse dans nos retranchements, nous oblige à prendre parti. Par certains côtés, on retrouve là le radicalisme expérimental d’Univers Zéro et celui, dans une toute autre optique, d’un Satie qui ne laissait au musicien que d’obscures – mais ô combien poétiques – recommandations d’interprétation. Dans les deux cas, quiconque veut aborder l’œuvre se doit d’être partie prenante, de faire des choix selon sa propre sensibilité, et de comprendre à partir de cette dernière.
De l’ensemble se dégage alors un triptyque remarquable, constitué de "Refuge", "Ce qui se cache derrière la lune" et "Sommeil en veille". Ces trois morceaux forment à eux seuls le cœur conceptuel de l’album. Ambiance acoustique pour le premier titre, mélancolie insoutenable mais apaisante, cordes et piano engagés dans un ballet suicidaire et réconfortant qui nous plonge au cœur d’une esthétique post-rock mâtinée de jazz. Peu de chose en commun avec les deux autres titres, beaucoup plus électriques, durant lesquels le guitariste tire de son instrument quelques magnifiques soli, sensibles et mélodiques ; et pourtant, le sentiment d’une réelle unité ne nous quitte pas. "Refuge", une porte ouverte sur l’autre du monde, « the dark side of the moon », cet autre du moi que nous abritons tous en chacun de nous. Une altérité violente et lyrique, dont le lyrisme même justifie la violence. Et, au détour d’un riff, refuge encore, au creux des mélodies portées par un piano solitaire…
Moins métaphoriquement, il me faut rendre hommage au batteur, Daniel Giguère, qui fournit un travail considérable, d’une inventivité sans cesse renouvelée. L’apport des percussions est essentiel et contribue à diversifier les entrées stylistiques, parti pris qui semble être celui de l’ensemble du groupe. Car faire cohabiter, à la manière d’un Frank Zappa par exemple, diverses influences qui n’ont de commun que l’utilisation prépondérante du piano, il fallait l’oser ; et le pari est réussi. Revers de la médaille, cette unité dont je fais la louange peut être aussi considérée comme uniformité. Et il est vrai que la plupart des titres souffrent de quelques longueurs et, au fil d’une écoute linéaire, d’une sensation circulaire de déjà vu ; il n’est pas aisé de continuer à inventer au sein même de l’invention. Autre point faible, cette fois-ci purement subjectif : malgré toutes ses qualités, « Ensemble derrière la lune » n’est pas un album qui restera des semaines sur ma platine. Il manque ce petit quelque chose, sans doute du côté des mélodies, qui procure le frisson dont nous sommes tous en attente dès lors qu’un disque semble sortir du lot. La faute aussi peut-être à une production de bonne qualité, mais parfois un peu aride, étouffante, en adéquation certaine avec la musique proposée. Car ce qui fait défaut, finalement, c’est une certaine ampleur, harmonique autant que mélodique, la création d’atmosphères et la recherche de ruptures climatiques étant souvent privilégiées.
Une fois n’est pas coutume, laissons la parole aux artistes pour conclure cette chronique :
« Ce projet représente l’expression de nos plus profondes émotions
La pierre qui met le feu à cette passion qui brûle en nous
Le néodyme nous aimantant tous les uns les autres
À travers cette musique qu’est la nôtre. »