Ceux qui sont familiers de l’histoire du dirigeable n’auront pas besoin de précisions. Les autres, ceux qui abordent cette chronique sans avoir une idée très claire de la morphologie tragique de l’histoire de Led Zeppelin seront peut-être attristés, voire déçus par la tournure que prennent les évènements relatés ici, quand on sait que l’on parle des créateurs de "Stairway to Heaven", "Dazed and Confused", "Kashmir", ou autres "Achille’s Last Stand".
Le décor doit-il être une nouvelle fois planté ? Car en cette année 1979, l’ombre des Punk n’explique plus tout. Le contexte musical défavorable, auquel "Presence" avait opposé une musique rock/blues puissante et inspirée, avance sans Led Zeppelin. En ces temps de bouleversements, une absence d’une année ne pardonne pas et le titre de l’album montre bien qu’il n’est plus question de devant de la scène pour le quatuor, mais bien de se faire humblement une place. Pour comprendre le silence de cette année 78, il faut remonter en 1977. Le groupe entame cette année là une tournée monstrueuse, sensée remettre les pendules à l’heure, et prouver au monde que la machine de guerre n’est pas rouillée. L’était-elle ou n’est-ce que le sort (celui d’Aleister Crowley diront d’ailleurs astucieusement les journalistes) ? Quoi qu’il en soit, la soi-disant machine de guerre est composée de musiciens harassés, drogués pour supporter une douleur quotidienne, et de plus en plus violents. Bagarres, rumeurs sulfureuses autour de Richard Cole, accident de la route pour Bonham, sont autant de coups durs que reçoit le groupe sans savoir que le pire viendra lorsque Maureen Plant appellera pour annoncer la mort prématurée et fulgurante du cadet des Plant, Karac.
Cette longue introduction est nécessaire à qui veut comprendre et inscrire cet opus dans l’histoire du groupe. En effet, le contenu en est, sinon anecdotique, au moins funeste. Certes, il reste des bons moments, comme "In The Evening", qui aurait pu figurer sur "Physical Graphitti", avec son riff lancinant et ce solo bordélique, sorti tout droit d’un univers tourmenté. Dans la série des blues, "I’m Gonna Crawl" est un très bon titre, dominé par les claviers. Le poignant "All My Love", hommage de Plant à son fils, marquera tristement les esprits, et montrera parallèlement un John Paul Jones très actif derrière ses claviers. Même si il est louable que Jonesy tente de sauver les meubles, il est loin d’avoir l’envergure d’un Jimmy Page. Malgré son génie, c’est surtout un travailleur de l’ombre, et le guitariste flamboyant ne sera pas remplacé comme ça. Car Page, toujours enfermé dans les drogues que lui fournit massivement Cole, est inscrit aux abonnés absents. Lorsqu’il ne délivre pas ses soli, semblables à des éruptions sortant irrégulièrement du cratère dans lequel il s’est enfermé, ses parties de guitares semblent moins inspirées, parfois presque minimalistes. De son coté, Plant délivre un chant brisé et accablant, et bien souvent il est possible de se surprendre à décrocher son attention, comme si l’esprit avait le réflexe de ne pas plonger dans cette décadence funeste.
De façon générale, l’album souffre d’un certain manque de cohérence. La cohésion n’est pas servie par l’origine des compositions, assez individualistes, comme en témoigne "Carouselambra", à mille lieux d’un titre du Zep’, et plus proche de l’expérimentation d’un John Paul Jones. "All My Love" peut également être vue comme le premier titre de la carrière solo de Robert Plant, et le seul titre composé par les anciens compères Plant et Page ("Hot Dog", une ballade entre country et piano-jazz, crédible comme une distribution de préservatifs au Vatican) semble un peu insipide. Plant déclarera à propos du contenu musical « Ce n’est pas nous, c’était bien à ce moment là, mais ce n’est pas nous, et ce n’est pas une direction que j’aurais voulu prendre dans le futur. ». Reste pour se réjouir la sublime pochette, sous papier kraft pour la version d’origine, réalisée par les studios Hipgnosis.
Si "Coda" est un album posthume, alors "In Through The Out Door" en est le faire-part. Je vous mentirais en vous disant que ce huitième opus est incontournable, mais quand un groupe marque pareillement l’histoire de la musique, est-il permis de sauter des chapitres ?