Pas facile de se pencher sur la dernière production du groupe Syrinx, tant les mystères entretenus sur le groupe sont opaques. Les informations dispensées sur leur (très beau) site sont pour le moins nébuleuses : un groupe de musiciens (probablement 4) volontairement maintenus dans l’anonymat afin de ne pas influencer l’auditeur, a choisi de mettre en musique (“transcrire”) l’histoire le la nymphe Syrinx, qui se transforma en roseau pour échapper aux attentions du dieu Pan. Dépité, celui-ci coupa quelques roseaux et les assembla avec de la cire d’abeille pour façonner la flûte qui porte son nom. Qualia est, après Reification, le deuxième album de la trilogie à l’issue de laquelle l’identité des concepteurs sera révélée. Voilà, nous n’en saurons guère plus sur la manière dont a été mise en place, pardon, “transcrite”, cette œuvre. Nous pouvons donc nous lancer dans l’écoute de cet opus entièrement musical, relativement court et découpé en seulement quatre pistes.
L’auditeur, averti sur le caractère “métamorphique” de la musique (NdT : capable de transformations), aurait pu craindre donc l’hermétisme le plus total, et les premières minutes d’écoute auraient pu le conforter dans cette impression d’abstraction, avec ses séquences individuellement mélodiques mais juxtaposées sans apparent souci de continuité. Extrême soin de mise en place, choix des sonorités et ambiance cohérente nous rappellent pourtant que les Transcripteurs ont une vision d’ensemble particulièrement aiguë. Avec cette atmosphère orchestrale soigneusement développée sur une base de claviers soft, le travail de Syrinx pourrait s’apparenter à celui de l’Epilog d’Anglagard, ou pourquoi pas à August in the Urals de Deluge Grander. Mais plutôt que d’évoluer sur un terrain symphonique avec moult superpositions, Syrinx se place davantage sur le terrain de la musique de chambre, où peu d’instruments se croisent pour donner la mélodie d’ensemble.
Cette façon d’élaborer les lignes musicales impose un certain effort d’écoute. Mais une fois que l’auditeur accepte de s’immerger dans l’univers proposé, il découvre une musique pleine de richesses, où chaque instrument tient une part importante (prêtez attention au travail de basse !). Recevoir Qualia lors des premières écoutes, c’est un peu comme quand vous allez au cinéma et vous vous retrouvez placé très près de l’écran : au début, l’impression est à l’émiettement des images, puis passé le temps d’adaptation, vous percevez la construction dans son ensemble.
Curieusement, la fin de l’album est plus accessible que le début, tout comme la fin du premier morceau (Liber Nonacris) est plus abordable que son entame, s’envolant par paliers successifs vers des horizons plus dégagés. Syrinx ne cherche donc nullement à nous faciliter l’accès à Qualia, passant des ambiances dépouillées (intelligente utilisation de la clarinette solo dans Acheiropoietes, joli solo de piano sur Le Grand Dieu Pan) aux sonorités plus automnales basées sur le mellotron ou les nappes de synthé (Le Vingt et Unième Siècle),frôlant parfois le jazzy (Acheiropoietes - pour les non initiés : pas fait de la main de l’homme, NdT).
Un très joli parcours d’ensemble donc pour ce Qualia d’une grande qualité de conception et d’exécution. Pas sûr cependant que cet album tourne en boucle sur votre platine, mais probablement à garder sous le coude pour démontrer à un auditeur sceptique la qualité que peut atteindre la musique progressive instrumentale !