Retour sur l’année 1973 : le label américain MCA vient d’allonger sa liste d’artistes à distribuer avec un groupe répondant au nom étrange de Lynyrd Skynyrd, patronyme faisant référence au nom d'un prof de gym connu dans la région qui n'appréciait pas les longues chevelures. Sans trop croire en ce nouveau poulain, MCA publie le premier opus au titre plutôt évocateur.
Lynyrd Skynyrd arrive ainsi dans le show biz précédé d’une réputation à faire frémir un renégat apache, car les nombreuses bagarres et le penchant des musiciens pour la bouteille d’eau de feu et autres substances à fumer ont déjà fait connaître l’aspect rebelle et anticonformiste de la formation. Pour l’anecdote, les séances d’enregistrements de ce premier album se sont révélées parfois bien mouvementées sous la coupe du grand producteur qu’est Al Kooper. D’autant plus que certains morceaux présentent une longueur qui ne convient pas du tout à la maison de disque et qui évidemment enflamme davantage les relations avec le groupe. Ce contexte houleux et râleur, entièrement conforme à l’image du "Redneck rock’n’roll band" que représente Lynyrd Skynyrd, ne fera que renforcer l’onde de choc que cet album va propager à travers la planète. Les huit titres (plus cinq bonus) vont permettre de bousculer un peu le monde tranquille du Rock Sudiste.
Lynyrd Skynyrd existe depuis le milieu des années soixante ce qui peut expliquer facilement la totale maîtrise technique et musicale des musiciens. Les évolutions qu’ils ont traversé au fil du temps se ressentent dès les premières notes de 'I Ain’t The One' dans laquelle les trois guitares se révèlent d’une complémentarité exemplaire malgré les franches différences de style et d’instruments des protagonistes. En effet, si Gary Rossington demeure un adepte de la Gibson Les Paul Custom, Allen Collins affiche un net penchant pour la Gibson Firebird, tandis qu’Ed King se laisse plus volontiers attirer par la Fender Stratocaster. Ces différences de sons vouées au même but font de Lynyrd Skynyrd un véritable précurseur dans ce domaine.
Cette diversité se traduit bien sûr sur l’ensemble de "Pronounced leh-nérd skin-nérd". Le groupe n’hésite pas à s’aventurer dans le country rock (le piano western sur 'Mississipi Kid'), le blues rock romantique ('Tuesday’s Gone' et ses sept minutes de pur bonheur) et même vers une tendance plus brute (le riff gonflé et rugueux sur le refrain de l’immense 'Simple Man'). Et puis il y a cette voix, habituée aux descentes de Jack Daniels et aux clopes fumées jusqu’aux bout des doigts, qui enveloppe merveilleusement chaque titre de la première à la dernière note. Enfin, cet album recèle un véritable hymne à la gloire du rock sudiste, le légendaire 'Free Bird'. Pièce maîtresse de chaque concert de Lynyrd Skynyrd, ce titre conserve une incroyable intensité aussi bien dans sa partie mélancolique que dans son finish aux guitares sauvages et incandescentes.
Au bout du compte, MCA n’a certainement pas fait un mauvais choix en épaulant Lynyrd Skynyrd. Le succès de ce premier opus a dépassé les espérances et même aujourd’hui ce poignant "Pronounced leh-nérd skin-nérd" n’a pas pris une ride. Un album à classer sans conteste sur l’étagère des pièces intemporelles, et ce, toutes tendances musicales confondues.