Depuis 2001 et plus précisément le virage « Monumension », Enslaved poursuit inlassablement son exploration des méandres d’un black metal sublimé par un rock progressif profondément mélancolique. Dès lors, les norvégiens s’offrent aux critiques diamétralement opposés de certains fans avec d’un côté ceux qui regretteront le temps du viking metal de la première heure, et de l’autre ceux qui reprocheront un certain manque de renouvellement depuis « Isa » qui marque l’apogée de la démarche. Bien loin de ces débats philosophiques, le quintet poursuit ses expérimentations sur « Vertebrae », une recette à la frontière d’un Opeth pour la couleur musicale et d’un Vintersorg pour les lignes de chant aussi bien black que claire.
Pour ce nouveau périple, les norvégiens nous embarquent pour une plongée homérique de 49 minutes sombres et glaciales. Mais nous sommes bien loin de l’avis de tempête que certains réticents au genre black craignaient tant l’agression auditive redoutée se dilue dans une ambiance tristement planante.
Dès l’introductif « Clouds », les harmonies enchanteresses des claviers hypnotiques et le chant clair de Hebrand Larsen envouteront les plus réticents sur cette mer globalement paisible qui s’agite par moment au gré du chant âpre de Grutle Kjellson, assez en retrait sur cet opus. Ensorcellement qui se poursuit sur « Ground » notamment à la faveur d’un solo aux forts accents Pink Floydien.
Il faudra réellement attendre la seconde partie de l’opus et plus précisément, le groovy en diable « New Dawn » et le titre éponyme marqué par son refrain clair entêtant - d’autant enivrant qu’il est au cœur d’un environnement black rageur - pour être en présence d’une mer plus agitée à la faveur de titres plus sauvages que mélancoliques. Une odyssée -composée de huit étapes envoûtantes comme le fabuleux « Reflection »- dont le seul demi-bémol à déplorer est le titre « Center » au contenu assez linéaire, constat ennuyeux pour un titre de plus de sept minutes, qui devient d’autant plus lassant par son manque d’audace et de variation qu’il est noyé dans un ensemble d’une richesse extrême. Fort heureusement, le final atmosphérique particulièrement épique, véritable ode à la gloire du rock progressif des années 70, le sauve d’une lente et affreuse mort par asphyxie.
On ne doute pas qu’avec ce dixième opus en quatorze années d’existence, Enslaved croisera sur son chemin de nombreux pirates détracteurs tant la traversée hypnotique proposée est d’une teneur globalement plus rock qu’extrême. Mais ne nous y trompons pas, « Verterbrae » récoltera les suffrages d’une large majorité de braves moussaillons rêvant d’odyssées progressives comme les norvégiens savent si bien nous les conter ! Car, Enslaved c’est l’union improbable, mais magique, du black malsain et sauvage et du rock progressif psychédélique de la grande époque en général, et de Pink Floyd plus particulièrement ! Un mariage particulièrement affriolant pour tout marin de nature à succomber aux sirènes blacks stridentes.