Malgré un style musical qui s'y prêterait plutôt bien, les contributions de Mike Oldfield à la musique de film relèvent de l'extrême rareté. Bien entendu, tout le monde est capable d'associer son thème mythique de cloches tubulaires au non moins mythique film de William Friedkin – l'Exorciste. Mais il ne s'agit là que d'une opération de récupération d'un titre existant, et dont la présence reste finalement très accessoire dans le film.
Avec The Killing Fields, de Roland Joffé, (La Déchirure au pays de Molière), Mike Oldfield se voit passer une véritable commande et va travailler sur pièce, après de nombreux visionnages de l'œuvre. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que rarement une musique aura autant collé à l'ambiance d'un film. Dès les premières notes, l'auditeur se trouve projeté en droite ligne au Cambodge, dans l'ambiance oppressante d'urgence absolue qui ressemble parfois à la fin du monde (Evacuation), et qui préfigure l'évacuation du pays par les étrangers devant l'arrivée des Khmers Rouges. Mike Oldfield nous propose ici un véritable travail symphonique, aux orchestrations soignées et aux chœurs inquiétants. Les thèmes se succèdent les uns aux autres, pour mieux revenir ensuite sous une autre orchestration (et notamment ceux évoquant Dith Pran).
Pour autant, l'artiste nous propose très peu d'éléments dans son style traditionnel : hormis les très courts (et splendides) Bad News et Good News, puis le générique de fin (Etude), la quasi-totalité de la musique est interprétée par l'orchestre conduit par Eberhard Schoener. Mélange de classicisme et de musique plus abstraite, l'ensemble propose une unité de ton stupéfiante, bien loin des O.S.T. d'aujourd'hui rassemblant quelques titres d'artistes divers gravés ensemble "dans l'esprit du film". Et surtout, chaque note, chaque mesure, chaque thème fait passer des frissons dans la colonne vertébrale, donnant l'impression de revisionner les images terribles de ce film oh combien fort. Ceux qui ne l'auraient pas encore visionné pourront se faire une première idée, tandis que les autres revisiteront ces images à jamais gravées dans leur esprit.
Compagnon indispensable du film de Roland Joffé, cet album possède néanmoins une existence propre et peut être considéré au même titre que les autres albums studio de Mike Oldfield. Certes moins jouissif que les autres productions de l'époque du maestro (Crises ou Discovery), il n'en reste pas moins une véritable réussite dans ce genre si particulier des musiques de film.