Deux ans après la sortie d' "Oceanic", Isis propose en 2004 son troisième album toujours produit par Matt Bayles ( Mastodon, …) qui aura la lourde et difficile tâche de tenter de faire aussi bien que son ainé. D'autant plus que les travaux de l'artiste multi-récidiviste Aaron Turner, tête pensante, frontman, guitariste d'Isis mais aussi membre de formations telles que le tout autant passionnant Old Man Gloom (Post-hardcore/Punk), Lotus Eaters ou encore House of Low Culture (Drone-Ambient) sont attendus par une audience au nombre toujours plus grand, permettant aux américains de sortir de manière propice du cercle restreint des groupes underground.
Connaissant le goût prononcé des californiens pour pour l'évolution plutôt que l'immobilisme, il était a priori très probable que "Panopticon" nous offre quelque chose de différent. Et, jamais à cours d'imagination, Aaron Turner aborde l'album par l'intermédiaire d'une nouvelle thématique, à savoir le Panoptique. Derrière ce nom énigmatique se cache un concept d'architecture carcérale imaginé par le philosophe Jeremy Bentham, permettant à un individu logé dans une tour centrale d’observer les autres prisonniers sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils le sont.
Outre le côté conceptuel de l'objet, et qui fut déjà constaté lors du dernier opus, la musique d'Isis se meut progressivement en une entité moins virulente et qui, bien que toujours monolithique, prend plus l'apparence d'un savant mélange de postcore et de post-rock. Elle devient aussi sur cet album véritablement mathématique, redoublant de complexité. Autrefois impulsive, acrimonieuse, elle se fait dès lors rigoureuse, plus réfléchie. Toujours basée sur un flot de distorsions granuleuses de concert avec des parties de batterie méthodiques, les californiens canalisent désormais leur puissance, se jouent des tensions, alternant les moments de calmes insidieux et déflagrations salvatrices.
Au nombre de sept pour plus d'une heure d'écoute, les titres s'étirent longuement et prennent le temps de laisser monter minutieusement la pression jusqu'à exploser en plein vol. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la pochette, ça n'est pas dans les airs que se sentira l'auditeur, mais bien au fond d'un abysse, écrasé par la pesanteur monumentale créée par le mur sonore des riffs de guitares et des vociférations de Turner. Cette impression émerge d'ailleurs sitôt démarré, départ lancé, "So Did We" qui entame sans attendre les hostilités, affichant la redoutable énergie qu'il s'agira de maitriser sur tout l'album.
Personnellement, je considère "Panopticon" comme le véritable chef d'œuvre d'Isis. Plus nuancé qu' "Oceanic", c'est aussi la transition avant le passage à un post-rock moins émotionnel, plus cérébral avec "In This Absence Of Truth". Inquiétant autant que fascinant et hypnotique, "Panopticon" est un voyage éprouvant de l'obscurité vers la lumière qui marque pour longtemps.