Mes Sœurs,
En ces temps agités de cacophonie musicale, où le médiocre côtoie le bruyant, quand ils ne s’associent pas, il est bon de pouvoir se reposer avec recueillement sur les vraies valeurs mélodiques.
Aussi c’est avec une fierté teintée - que le Très Haut me pardonne ! - de gourmandise, que je vous propose en cette veillée, de nous rassembler pour écouter le très délicat "The Geese And the Ghost" d’Anthony Phillips. Comme certaines d’entre vous le savent probablement, “Ant”, ainsi qu’on le surnomme, est un des membres fondateurs du mythique Genesis, groupe qu’il quitte après la parution du raffiné "Tresspass", où l’on identifie déjà le goût de ce guitariste, amateur de 12 cordes, pour les harmonies arachnéennes et les ambiances éthérées. Sa décision semble liée à une peur de la scène, ce qui peut se comprendre quand on observe le manque de recueillement des auditoires actuels. Puissions-nous, mes Sœurs, nous tenir à l’écart de toute cette vaine agitation !
Il faudra sept années de persévérance à Ant pour parvenir à mettre au monde cet album, né de sa collaboration avec Mike Rutherford. Les premières ébauches remontent donc à la période de "Trespass", et la parution est postérieure à "Trick of the Tail" ! La complicité avec Mike est très présente tout au long de "Geese", les deux amis partageant les guitares dont la très prisée douze cordes, qui donne une teinte très particulière à l’album, mais vous pouvez également noter que des noms célèbres sont présents parmi les collaborateurs : Phil Collins assure les vocaux sur deux titres (et il est dans un registre doux qui lui convient ma foi fort bien), et John Hackett joue de la flûte comme sur les albums de son frère Steve.
"The Geese and The Ghost" est délicatement présenté dans une pochette signée Peter Cross, qui travaillera souvent avec Ant. Le ton est donné avec une illustration toute en diaphanéité montrant un troubadour dans une ambiance pastorale et merveilleuse. La poétique naïveté de l’image se traduit dans la musique par une simplicité transparente. Les guitares dominent clairement le propos, accompagnées tantôt du souffle d’une flûte ou d’un hautbois, tantôt de la caresse d’un violoncelle. Seuls les deux derniers morceaux, enchaînés ('Collections', avec Ant au chant, et 'Sleepfall') bénéficient d’une orchestration plus ample. La direction imprimée à l’album est donc dépouillement et harmonie, et c’est une réussite incontestable, avec pour point culminant les deux morceaux les plus longs, 'Henry, Portrait From the Tudor Times' et 'The Geese and the Ghost', qui sont d’admirables incitations à la rêverie et que certains esprits modernes qualifieront d’“épiques”, appellation qui me parait assez bien adaptée.
Aucun des albums ultérieurs d’Ant ne délivre le même charme un peu suranné que ce "Geese and The Ghost". Profitons donc, mes sœurs, de ce moment de grâce et de calme que nous procure cet album, loin des convulsions et des turbulences, et goûtons les tendres variations de ce chercheur en harmonies.