Si vous pratiquez régulièrement Music Waves, le nom de Steven Wilson ne vous est pas inconnu. Pour resituer les choses, l’anglais est un producteur extrêmement influent dans le monde de la musique progressive en générale. Il a notamment produit trois albums d’Opeth, composé pour Fish, participé à plusieurs albums de grands groupes de métal progressif comme Dream Theater et surtout il est le génial géniteur de Porcupine Tree et Blackfield. Pour un florilège exhaustif du travail du bonhomme, un document en pdf de 315 pages est téléchargeable sur le net!
L’originalité initiale d'"Insurgentes" réside dans son processus de composition. Celui-ci s’est déroulé entre janvier et août de cette année à travers une multitude d’endroits autour de la planète. Steven Wilson s’est imprégné d’images, de sons et d’odeurs rencontrés tout au long de ses voyages. D’ailleurs, l’édition collector de cet album regroupe un dvd et un livre de photos des différents endroits visités. Une grosse dose d’ésotérisme entoure donc cet objet et, on le verra plus loin, colore une musique relativement diversifiée à la dimension impressionniste. “Insurgentes” est le mot espagnol pour “insurgés”, et c’est parfois le cas avec le contenu de ce disque. Steven Wilson s’est rebellé par rapport aux habitudes de ses différentes formations. Mieux que se rebeller, il a abattu les barrières pour proposer un mélange de tout ce qu’il a pu écrire au sein de ses projets. Car au final, c’est bien Steven Wilson que "Insurgentes" met en lumière.
L’album débute de la meilleure manière pour l’auditeur avec 'Harmony Korine', un mid-tempo au refrain puissant et au chant fragile qui vient faire la jonction entre "FOABP" et cet opus. La période "Sky Moves Sideways" de Porcupine Tree est assez bien représentée par 'Veneno Para Las Hadas' avec son côté atmosphérique et psychédélique et 'Salvaging' avec ses arpèges répétitifs transcendé par une magnifique orchestration en deuxième partie de morceau. D’autres séquences utilisent le côté ambient de No Man comme 'Abandoner' avec son tempo lent, ses loops de batterie et ses bruitages hypnotiques boostés aux accords de puissance suspendus. Mais, si 'Abandoner' fait partie des titres réussis de l’album, d’autres plages ne gardent que le côté expérimental de No Man pour accoucher de monstres sonores plus proches de la cacophonie qu’autre chose comme par exemple 'Get All You Deserve' ou l’instrumentale 'Twilight Coda'.
Hormis ces deux compositions auxquelles il est difficile d'adhérer, le plaisir est grand et la surprise de taille quand commence la presque instrumentale 'No Twilight Within The Courts of The Sun'. Ce morceau atypique dans la discographie de Steven Wilson est un blues camouflé en jam (ou le contraire) qui transporte dans les années 70. Tony Levin et Gavin Harrison (toujours magistral) impriment un groove endiablé sur lequel la guitare distordue de Wilson vient improviser des chorus torturés. Rien que pour la section rythmique ce morceau a de l’intérêt. Si en plus vous lui ajoutez une partie finale dans laquelle une légère mélodie au piano partage la vedette avec des voix éthérées, vous aurez un titre très original et contrasté du meilleur effet. Parmi les autres particularités de l’album, 'Only Child' étonne par son énorme basse qui donne le ton au morceau, mais surtout par sa production au rendu bien plus brut que pour l’ensemble des autres titres de l’album. 'Significant Other' serait plutôt à ranger (obsession de chroniqueur) dans la mouvance Blackfield, de même que la magnifique 'Insurgentes'. Le premier possède le côté pop de Blackfield avec une pincée de psychédélisme en plus, mais un Blackfield sur-vitaminé dans la fin du morceau. 'Insurgentes' est une mélopée au piano très mélancolique portée par un Steven Wilson émouvant.
Le disque bonus contenant cinq titres n’est pas exempt d’intérêt. Outre une version de 'Insurgentes' plus longue et 'Port Rubicon' un morceau très expérimental et bruitiste, les trois autres plages auraient largement pu trouver leur place sur le premier CD. 'Puncture Wound' et 'Untitled' rendent hommage, chacun à leur manière, aux influences alternatives et new wave de Wilson. C’est par exemple Depeche Mode qui vient à l’esprit avec 'Untitled' de par ses percussions programmées et sa coloration années 80. Enfin, la deuxième instrumentale du double CD, 'Collecting Space', est un morceau très riche et assez enjoué par rapport à la tendance générale de "Insurgentes", qui se veut assez noire et dépressive. Cette musique, placée en bonus, semble même pouvoir être le squelette instrumental d’une chanson qu’on imagine réussie. Les deux soli que vient prendre Wilson sont écorchés et dissonants à souhait.
Par ce rapide florilège des titres de cet album évènement on peut déduire deux grandes orientations. La première, c’est la relative diversité dans l’essence des structures en balayant toutes sortes d’inspirations. La deuxième est la forte impression de noirceur qui se dégage à son écoute. Peu de place est laissé aux sentiments de joie ou de gaieté et cela est renforcé par les nombreuses incursions d’ambiances cacophoniques ici ou là. Steven Wilson n’est pas connu pour être un compositeur spécialement enjoué mais dans le cas présent, une volonté est clairement affichée.
Si vous aimez le style de l’anglais vous aurez énormément de plaisir à écouter cet album comme toujours extrêmement bien produit. Parmi les réserves, on aurait pu s’attendre à une prise de risque plus importante dans la direction musicale du disque. Le titre de l’album comme le fait que cet opus soit le premier album solo de Steven Wilson légitiment ces attentes qui ne sont pas entièrement comblées. En outre, il faut avouer que le niveau de la plupart des morceaux issus des différents projets de Wilson n’est ici pas atteint, ou alors de manière trop furtive. Et bien qu’offrant une certaine cohérence, la mélancolie planant sur l’album rend difficile une écoute attentive et concentrée de bout en bout. "Insurgentes" est donc un disque exigeant qui nécessite un certain temps d’apprivoisement pour pouvoir le juger.