Qui pouvait s’en douter ? Qui peut prétendre avoir décelé à l’écoute du seul "Rocka Rolla" le potentiel de ce groupe qui, 24 ans plus tard, et avec quatre des cinq musiciens présent sur cet enregistrement, continue d’écumer la planète metal après s’y être imposé en maître incontesté ? Sans doute pas grand monde et on ne leur en voudra pas…
Il faut dire qu’en 1974, Les formations nées des écoutes adolescentes des Yardbirds, Cream, et autres Hendrix sont légions. Tout juste si le nom du combo, tiré d'une chanson de Bob Dylan, fera lever quelques sourcils dans l’Amérique puritaine. Le groupe existe depuis 5 ans au moment de l'enregistrement, et possède une bonne expérience de la scène. L’adepte de festivals de l’époque remarquera qu’ils tournent avec Thin Lizzy, et engagent d’ailleurs par la suite un second guitariste (Glen Tipton) avant l’enregistrement houleux de cet opus, reproduisant ainsi le schéma efficace des deux guitaristes solistes.
La mise en boite de cet album n’est sans doute pas le souvenir le plus heureux des musiciens. En effet, les membres de Judas Priest parleront souvent d’un album dont le contrôle leur aurait échappé. Les titres sont issu de leur répertoire de scène, mais subissent les amputations de Rodger Bain, producteur de l’époque ("Caviar And Meths" passe de dix à deux minutes), tandis que les morceaux plus heavy sont écartés, mais pas pour longtemps puisqu’ils apparaîtrons sur "Sad Wings Of Destiny" deux ans plus tard. L’enregistrement est fait en conditions live (tout le monde jouant simultanément dans le studio), et le résultat final donne une impression un peu brouillonne, avec des titres courts qui servent plus ou moins d’interludes, et une production assez mauvaise, manquant singulièrement d’énergie.
Musicalement, le groupe révèle ça et là ses qualités. Les mélodies font souvent mouche, les influences blues sont digérées mais pas plagiées ("Run Of The Mill"). Les compositions sont efficaces, avec quelques bon riffs ("Cheater", "Rocka Rolla"…). Le chanteur, un certain Robert Halford, engagé pour avoir commis l’exploit d’être le frère de la copine de Ian Hill, montre avec réserve le talent qui est le sien, entre autres sur "Never Satisfied". La collaboration entre Tipton et Downing fait des merveilles sur certains titres, et laisse augurer de belles années.
Évidemment le fan du Priest, habitué aux déluges de feu que propose ce groupe, s’étonnera de ces morceaux doux, de cette batterie presque jazzy, de la bonne tenue d'Halford, ou encore de l’usage d’un harmonica par ce dernier. Est-ce à mettre sur le compte de la production moyenne, sur celui de la sélection des chansons, ou sur une timidité de début de carrière ? Toujours est-il que Judas Priest ne montre pas vraiment encore des dents. Cet opus possède un charme indéniable car le talent de compositeurs et d’interprètes des membres y est évident, mais le meilleur reste à venir.