En 1532, un français du nom de François Rabelais écrit le roman Gargantua que beaucoup s'accordent aujourd'hui encore à reconnaître comme absolument génial mais d'une écriture relativement indigeste pour des lecteurs non avertis. En 2003 sort le premier album d'un groupe polonais qui choisit pour nom de scène le titre du roman en question et nous sert une musique à l'esprit comparable, à savoir de très bonne qualité mais parfaitement inaccessible. Un rapide tour sur le site du groupe ne laissant pas apparaître de référence autre à l'oeuvre rabelaisienne, mettons donc de côté cette homonymie et intéressons-nous à la musique qui nous est proposée.
Second album de Gargantua, ce "Kotegarda" nous propose une musique très expérimentale, essentiellement instrumentale, et dont les mélodies, car elles existent bien malgré le créneau choisi, sont portées par un violon omniprésent. Quelques très rares lignes de chant émaillent les diverses compositions mais au niveau vocal, c'est plus souvent des effets de voix qui sont utilisés (ce que le groupe appelle lui-même des "facial noises") que de réelles interventions chantées. Musicalement, vous l'aurez compris, on est plongés ici dans le royaume de la dissonance et des rythmiques décalées. L'effet est loin d'être immédiat et tout ce joyeux bazar rappelle la démarche des précurseurs dans ce domaine, en particulier King Crimson.
Au niveau des références, Gargantua revendique de plus sa culture d'Europe de l'Est en réinterprêtant un extrait du "Sacre du Printemps" d'Igor Stravinski, nous livrant 4 minutes fort inspirées qui donnent envie de se replonger dans cette oeuvre majeure du début du XXème siècle.
Comme souvent dans ce style, on reprochera à Gargantua son approche extrêmiste de la musique mais on admirera également la volonté d'aller de l'avant, de perpétuer une démarche entreprise depuis longtemps et permettant de faire avancer un art plutôt que de se reposer sur des bases bien stables. Ce groupe nous convie à un mariage à trois, celui entre un violon et un clavier aux références classiques, une guitare saturée et essentiellement rythmique venant du rock, et enfin une section rythmique à l'approche jazz, voire free-jazz par moments. Il en ressort une richesse générale, pas seulement harmonique mais également purement sonore, qui reste indiscutable mais demande du temps et de réels efforts.
Gargantua fait de la musique pour les passionnés, qui demande un travail préalable et une mise en condition personnelle adaptée. C'est une musique qui peut s'écouter et se comprendre. Quant à l'apprécier, c'est une autre histoire et je laisse à chacun la possibilité de juger car rien ne sert ici d'essayer de convaincre. Mais une chose est certaine, ces gars ont du talent et un avenir peut s'ouvrir à eux si un public leur donne leur chance.