Anne et Mathilde sont deux jumelles que leurs parents placent dans un pensionnat. Pour rendre cette séparation plus facile à supporter, elles se voient offrir une boîte à musique dont la mélodie sait effacer leur peine. Mais un jour, lors d’une course-poursuite sur la glace d’un étang gelé, elles sont prises au piège des eaux glacées, piège mortel pour l’une d’entre elles. Voici résumé en quelques phrases l’essentiel (hormis la fin bien sûr) de l’histoire que nous conte Myhybris dans ce concept-album instrumental dont le nom anglais dégage une énigmatique saveur poétique : « The Sweet Melody of Resilience ».
Composé de quatre chapitres principaux reliés les uns aux autres par de courts intermèdes, l’album ne manque pas d’étonner : sa durée déjà, singulièrement courte (26 minutes, dans le monde du progressif, c’est peu) ; son ambition ensuite, car pour proposer comme premier disque un concept-album instrumental, il faut avoir une sacrée confiance en soi ; le thème même du concept enfin, qui évoque les contes déjantés du défunt Genesis Gabrielien. Etonner l’auditeur, c’est déjà beaucoup à l’heure, y compris parfois dans le prog, de productions uniformisées dont le renouvellement n’est que rarement le maître mot. Mais cela suffit-il pour convaincre ?
Le projet du groupe étant d’illustrer musicalement l’histoire, intelligemment narrée en français dans le superbe livret qui accompagne le disque – vous pouvez par ailleurs le télécharger au format PDF dans l’espace pro de leur site internet –, les compositions se devaient d’être expressives, de faire sens par le biais du ressenti et des émotions. Une musique froide et démonstrative, comme c’est trop souvent le cas dans le prog instru, n’aurait pu convenir ici. Et malgré un niveau technique évident, Myhybris n’est pas tombé dans ce piège, bien au contraire ! Dès le premier chapitre, lorsqu’intervient le thème mélodique issu de la boîte à musique, chanté d’abord par des voix enfantines (on pense à "Rosemary’s Baby" dans la version qu’en a tiré Fantômas) puis subtilement réinterprété au piano, c’est l’immersion immédiate dans le monde du conte, dans son innocence ambiguë et ses délicates structures que le drame viendra bientôt bouleverser. Avec ce premier titre, Myhybris donne le ton de l’album, entre métal progressif torturé (le jeu de basse et de batterie, d’une précision toute chaotique, y est pour beaucoup), lyrisme symphonique à la Phideaux et rock progressif éclectique. Les deux dernières minutes du morceau nous emmènent aux confins du jazz, relevées par un lumineux solo tout en finesse du guitariste qui prouve là que la technique sera d’abord mise au service des émotions.
Ce qui frappe dans cet album, au-delà de la qualité incontestable des compositions, c’est la grande classe avec laquelle tout ceci est réalisé. La production est irréprochable, aucune faute de goût dans le choix de l’instrumentation n’est à regretter, les thèmes s’enchaînent avec une facilité déconcertante. Pour autant, l’ensemble n’est jamais lénifiant, l’attention de l’auditeur restant sans cesse sollicitée par tel changement de tonalité, de tempo ou encore de climat. Les intermèdes renforcent la cohérence de la narration, sans cependant l’alourdir. Et si le survol de l’album est rapide, il recèle comme tout trésor son joyau caché, le diamant pur qui en augmente la valeur : il s’agit du titre éponyme, "The Sweet Melody of Resilience".
Joyau caché car une écoute distraite ne le distinguera pas forcément du reste de l’album, si ce n’est qu’il s’agit de l’unique morceau chanté, et que se manifeste en plusieurs occasions un saxophone mélancolique à souhait. Et s’il est vrai que cette pièce n’est sans doute pas la plus originale de l’album, pourquoi, ainsi que l’écrivait mon collègue Proggi dans sa chronique du dernier Karmakanic, bouder son plaisir et refuser « une montée en puissance progressive qui fait frissonner » ? Tous les ingrédients sont ici réunis pour vous tirer une larme de ravissement pur, depuis la voix cristalline légèrement voilée d’Amélie Festa jusqu’au superbe solo croisé guitare/saxophone qui clôt le morceau en une apothéose fulgurante, en passant par une ample partition de piano et les contrepoints mélodiques de la basse. Ce n’est pas par hasard que j’évoque ici Karmakanic, car les points de comparaison avec ce grand moment de rock progressif qu’est "Eternally Part 1 & 2" ne manquent pas.
Vous l’aurez compris, oui, cent fois oui, cet album m’a convaincu, bien au-delà de ce qu’il était permis d’espérer pour un premier effort. Le seul bémol, mais il est de taille, concerne bien évidemment la durée du disque. Au vu de la qualité des compositions proposées ici, nous restons sur notre faim, à tel point qu’une première écoute en appelle immédiatement une seconde, pour ne pas dire une troisième. Une vraie réussite donc !