“Être chroniqueur, c’est essayer d’étayer sa subjectivité par des éléments objectifs”. Le genre de réflexion que se fait ledit chroniqueur à l’entame d’un papier qui paraît délicat. Car il faut savoir que Nemo est le chouchou d’une partie de la rédaction ... Il convient donc de mesurer ses termes si l’on “juge” la dernière parution (Barbares) du groupe français le plus prometteur de ces dernières années, chaque nouvel album gravissant un échelon supplémentaire dans la hiérarchie des musiques progressives. Plus épique (le morceau éponyme dépasse les 25 minutes), plus progressif, plus dynamique ... le dernier-né, sujet de bien des rumeurs, tient-il toutes ses promesses ?
Divisé en morceaux de belle longueur laissant de la place aux développements progressifs, cet album est composé de façon assez classique : un LDI bien dynamique en ouverture, et le plat de résistance épique pour clore le bal. L’ambiance générale des textes est plutôt sombre, sur le thème “Qu’avons-nous fait de notre monde ?”.
Sur le plan musical, Barbares est un sans-faute. Résolument progressif, moins fusion que les opus précédents, cet album est d’une variété exemplaire, peut-être moins complexe que SI partie I, mais constamment accrocheur. Les musiciens font preuve d’une cohésion à toute épreuve, tous les éléments apportant leur pierre à l’édifice : JPL est un guitariste plein de feeling (mention au court solo de 19:59 et au final de l’Armée des Ombres), les claviers de Guillaume Fontaine parcourent avec sensibilité une très large gamme de sonorités, les percussions de Jean-Baptiste Itier sont d’une extrême précision (joli travail à la double pédale sur l’Armée des Ombres) et à la basse, Lionel Guichard apporte un soutien mélodique plus qu’appréciable.
Sans détailler tous les morceaux, il parait impossible de ne pas faire l’éloge du morceau titre, construit en 7 parties (comme Supper’s Ready !) liées par un thème présenté d’entrée à la guitare: un vrai épic, avec intro, transitions, breaks, rappel de thème, etc ... Quelques clins d’œil au prog italien se font entendre (la flûte, parfois irlandaise mais souvent italienne). Ce morceau comporte très peu de vocaux, mais avec ses très nombreux changements d’ambiance et de rythmique, apparaît varié et passionnant. Avec Barbares, Nemo rentre dans le cercle très fermé des groupes qui peuvent tenir un morceau de prog de plus de 20 minutes.
A ce stade de la chronique , après cette montagne d’éloges, le lecteur est en droit de se demander ce qui fait que Barbares ne récolte pas la note maximale. Il y a donc forcément un détail qui cloche, et ce détail est un peu le serpent de mer chez Nemo, je veux parler des vocaux.
Soyons juste (voir la phrase d’introduction), si les parties vocales pâtissent de quelques faiblesses, cela ne touche que faiblement la qualité globale de l’album, pour de multiples raisons.
Premièrement, JPL a fait beaucoup de progrès : les approximations passées, qui étaient surtout dues à une recherche d’expressivité, ne sont plus de mise aujourd’hui. Il reste quelques inexactitudes sur la mise en place des harmonies chorales, et des tics vocaux encore une fois liés à l’expressivité (mais après tout, un chanteur comme Higelin en fait plein, on peut apprécier).
En second lieu, le traitement des parties vocales aplanit habilement quelques aspérités. La voix est souvent mixée un peu en arrière (au point que l’on peut parfois avoir du mal à saisir l’intégralité des textes), parfois brouillée, le résultat est probant. Reste un registre un peu limité et un petit manque de puissance (JPL a par exemple du mal à passer devant les chœurs du Film de Ma Vie) qui limitent la portée émotionnelle. Nous voici donc arrivés à un résultat qui est en-deçà de la puissance de sentiments qu’exprime la musique du groupe. Étant donnée l’excellence de la prestation musicale, l’auditeur passionné ne peut que le regretter.
Enfin, Nemo apparaît surtout comme un groupe de musique : les parties vocales ne sont pas dominantes. Ainsi sur le morceau-titre, les vocaux doivent tenir en une vingtaine de phrases, laissant largement la place à de magnifiques développements instrumentaux qui emportent immanquablement l’auditeur (même remarque pour l’Armée des Ombres, ambiance inquiétante garantie !).
Des voix se sont élevées pour que Nemo chante en Anglais plutôt qu’en Français, mais je ne serais pas de cet avis. Même si sous la forme actuelle le chant garde une certaine naïveté, la langue française me paraît un élément identitaire fort pour ce groupe. Les auditeurs francophones sont par essence très sensibles aux textes proposés, mais si ces textes sont parfois un peu alambiqués (Faux-Sembants, un peu obscur), ils ont quand même une teneur certaine et une tonalité qui contribue grandement à “l’esprit Nemo”.
Ces quelques remarques (que j’espère constructives) ne doivent absolument pas rebuter l’auditeur potentiel : Barbares est un album remarquable, d’une extrême qualité, auquel ne manque qu’un petit apport pour atteindre l’excellence. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut être emballé par un album francophone, jetons-nous sur cet opus avec gourmandise !