Fin du 20ème siècle, CATTLE DECAPITATION se noyait dans la masse visqueuse de groupes de Grindgore 'ricains en envoyant un visuel et une... 'musique' qui n'avait aucune raison d'attirer plus l'attention que celle de ses petits camarades énervés. Les EP Human Jerky et Homovore dont les assauts n'atteignaient que très rarement la minute de bruitisme bovin s'étouffaient alors stérilement entre deux couches de gros intestins dans ce nauséeux bac à viscères débordant qu'est la scène Brutal Death Gore.
Il aura fallut alors 4 albums et pas loin d'un dizaine d'années pour que le groupe intègre graduellement à ses compositions des éléments de gros death metal floridien, affine son style, balance ici et là multitudes de petits détails et idées qui font la différence, s'adonnant même sur le précédent méfait "Karma. Bloody. Karma" aux plaisirs de quelques touches black metal si on en croit les diverses vociférations criardes récurrentes. Par ailleurs, non satisfait par l'image généralement gratuitement gore véhiculée dans le milieu, CATTLE DECAPITATION marque le coup sur « Karma » en proposant un artwork s'éloignant des codes. Afin de ne pas être assimilé à un énième groupe goregrind, le groupe joue alors la carte du sobre (tout est relatif) explicite en affichant cette vache sacrée mangeuse d’homme.
Pour mieux saisir l'approche du groupe, sachez que ses membres sont non seulement des végétariens purs et durs, mais disposent aussi d'un auditoire devenant au fil du temps assez conséquent dans les milieux écolo les plus extrémistes. A l'image de leurs illustres aînés végétariens Carcass qui en leur temps exhibaient sur la pochette du cultissime "Symphonies of Sickness" un patchwork photographique de rôtis, de gigots, au beau milieu de clichés de cadavres sortis des frigos de la morgue, CATTLE DECAPITATION souhaite faire passer son message engagé, anti-carnivore et écologiste, a travers ses provocations, ses textes résolument misanthropes prônant la vengeance du règne animal sur notre espèce, et ses visuels vomitifs. Ainsi, ne voyez pas seulement la réductrice surenchère gore dans la pochette parodiant Pink Floyd de "Humanure" : une vache déféquant des restes humains.
Concernant le visuel de « The Harvest Floor », CATTLE DECAPITATION met en application la signification de son patronyme, à savoir la décapitation du bétail. Pochette une fois de plus dénuée de scène gore, mais on ne peut plus explicite, confirmant à nouveau ce que le groupe défini par bétail. Point de bébête à quatre pattes ici, on parle bien du bipède de la pire espèce, celui qui ne fut qu’un ingrat furoncle à la surface de la belle bleue pour devenir insidieusement un cancer généralisé pour la planète toute entière : notre si chère espèce humaine mesdames et messieurs. Nous voilà gentiment menés aux portes de l’abattoir, résignés au moment fatal lorsque le crochet planté dans notre nuque viendra gratter le haut de notre crâne par l’intérieur.
Musicalement, si CATTLE DECAPITATION fait une fois de plus preuve de qualités techniques évidentes et largement au dessus de la moyenne, la forme ne bouge pas vraiment, l’assaut brutal death multidirectionnel constant n’en finissant pas d’asséner son efficacité. Ca claque, ça défonce, ça laisse des traces sur les murs. L’album contient son lot de petites surprises qui savent étonnamment garder l’auditeur en haleine malgré la densité et la brutalité de l’ensemble. En gros, je feinte la petite claque taquine sur la joue gauche pour mieux t’exploser le genou droit à grands coups de talon. Ainsi vont les quarante premières secondes larmoyantes, violon à l’appui de « Regret and the Grave » dignes d’un vieux My Dying Bride avant l’assaut brutal death strident, précédant un break aux riffs thrashisants. De même que la réellement effrayante amorce du solo de « We Are Horrible People » qui sortira n’importe quel toxico de sa torpeur artificielle. Le titre éponyme est quant à lui une inquiétante complainte épurée de 3 minutes, aux voix féminines et à la rythmique électronique martiale. Difficile de faire ressortir un morceau devant un autre pour le reste. Les influences les plus évidentes ressortent ici et là, les vieux Napalm Death, Cannibal Corpse et Carcass de la meilleur époque se bousculent joyeusement, le tout passé au mixer et hyper boosté par la touche de folie propre à CATTLE DECAPITATION. Les quelques longueurs reprochées à "Karma. Bloody. Karma" ont disparues, l'ensemble y gagne encore en densité. A noter la participation à l'abatage de quelques invités de marque, à savoir Ross Sewage (Impaled/Ludicra), Dino Sommese (Dystopia/Asunder), Jarboe (Swans), Jackie Perez Gratz (Grayceon/Amber Asylum), John Wiese.
Ce « The Harvest Floor » entame cette année 2009 d’une bien belle façon. CATTLE DECAPITATION en vieillissant a grandement gagné en charisme, et sachant définir plus clairement sa philosophie a incontestablement démontré sa crédibilité. Bien sur il ne faut pas non plus crier au génie, le groupe n’invente rien mais à force de pratique développe considérablement son style dont l’efficacité et la pertinence sont devenus indubitables. Peut-être un des disques de l’année dans le microcosme extrême ?