Un album de rock progressif conseillé par Mademoiselle Alicia Keys ne peut être foncièrement mauvais…Pour le coup, l’ironie contenue dans cette phrase ne donne aucune information sur le contenu de ce disque mais serait plutôt la preuve d’une certaine ouverture d’esprit de la jeune américaine. En effet, Bigelf est un groupe américain, ayant certes participé à un album pour lever des fonds pour le Darfour en duo avec Christina Aguilera (sur le « Mother » de John Lennon), mais capable de composer des albums d’un intérêt notable pour les lecteurs de MW. C’est toute l’essence de ce quartet que de brouiller les pistes et d’abattre les barrières entre les styles. Cette caractéristique se retrouve fatalement dans leurs compostions, et plus que jamais dans leur dernier album : Cheat The Gallows, qui est une véritable mosaïque d’influences. De plus, l’arrivée récente de Bigelf sur le label Custard –label créé par Linda Perry de Four Non Blondes- semble avoir été une excellente chose pour permettre aux américains d’avoir les moyens de leur ambition.
Leur quatrième album ne déroge pas à la règle : Bigelf propose un rock qui peut autant se faire dur que lorgner du côté de la pop, avec comme principales inspirations Deep Purple et les Beatles. Le premier morceau « Gravest Show On Earth » donne le la à ce qui sera la tendance générale de l’album, à savoir un rock énergique avec de belles orchestrations, agrémentées de trompette donnant une couleur music-hall, et des passages très beatlesien. « BlackBall » qui semble être la suite logique du premier titre garde la même texture avec des riffs de guitares et des envolées orchestrales dont le côté seventies pourra rappeller les géniaux Cheap Trick. La fin du morceau dégénère en un pourpre très profond car il reprend presque parfaitement ce qu’à pu être la section rythmique du grand Deep Purple. Le mimétisme va jusqu’à singer les bends de guitare du dieu Ritchie. A ce moment une immense gaieté nous envahit quand le duel saxophone-orgue Hammond fait rage mais on reste incrédule devant le parti pris de Bigelf de se faire plus pourpre que le Purple. On doit quand même avouer que ce morceau est particulièrement jouissif.
Le cirque Bigelf continue ensuite avec le premier single issu de cet album -qui a donné naissance à une vidéo présente en fin de cette chronique- « Money It’s Pure Evil » qui comme son nom l’indique revient sur les effets négatifs de l’argent sur le comportement des gens. Le magnifique solo de cette chanson ne parvient pas à faire oublier à l’auditeur qu’il a l’impression d’entendre du Lenny Kravitz…Ce groupe est définitivement très étrange...
Conviction renforcée avec l’intro psychédélique, très lourde, presque malsaine, de « The Evils Of Rock and Roll ». La seconde partie fait encore clairement référence à Deep Purple avec son riff très entraînant. Le refrain magnifiquement orchestré est particulièrement réussi et la fin du morceau laisse place à un duo guitare-orgue à l’unisson des plus réjouissant.
« No Parachute » est une magnifique ballade que viennent hanter David Bowie et Lenny Kravitz (encore lui). Pour « The Game » les comparaisons sont moins évidentes et on se persuade facilement que le « vrai » Bigelf est l’unique source de cette superbe mid-tempo riche de multiples ambiances. La parenté du chant de Damon Fox avec Robin Zander, le chanteur de Cheap Trick, est manifeste et la chanson « Superstar » l’illustre de manière indéniable. C’est aussi le titre qui fait le plus penser à ce groupe phare des années 70.
Les trois titres suivants, dont celui de plus de onze minutes, « Counting Sheep », sont d’une densité un cran au dessus et toujours très empreints des années 70. Les références sont moins clairement affichées et on a plutôt l’impression que l’album de Bigelf débute vraiment. Ces trois morceaux sont idéalement placés en fin de disque car ils laissent ainsi le temps à l’auditeur de se familiariser avec le style des américains.
Dure tâche que de rendre un avis sur Cheat The Gallows. Les premières écoutes installent comme un malaise provoqué par des influences digérées mais omniprésentes. Ce sentiment s’accompagne paradoxalement d’un vrai plaisir à apprécier avec quelle facilité le groupe enchaîne les séquences. Vous ne pourrez vous faire votre propre avis qu’en ingurgitant cette friandise qui, si vous faites partie des amateur des artistes cités sans être un extrémiste de l’originalité, vous sustentera. Bigelf est un groupe vraiment atypique capable de nous transporter à travers les années...