En 2001, Rhapsody, déjà reconnu pour trois excellents albums de métal symphonique, proposait un EP composé de sept titres, « Rain Of A Thousand Flames », au statut assez particulier. Il s’agissait tout simplement de leur dernier album véritablement convaincant, avant un « Power Of The Dragonflame » (2002) déjà un cran en dessous des superbes « Legendary Tales » (1997) et « Symphony Of Enchanted Lands » (1998). En effet, les Italiens réussissaient une fois encore l’alchimie si particulière entre métal mélodique et musique symphonique, sans que l’un des deux aspects prenne trop le pas sur l’autre. La grandiloquence des orchestrations et des chœurs n’avait pas encore annihilé les velléités mélodiques du groupe, tandis que la complexité des compositions laissait une grande place aux passages instrumentaux et solistes (sans toutefois pouvoir rivaliser avec la structure éminemment progressive d’un morceau comme "Rage of the Winter" présent dans « Legendary Tales »).
D’emblée, le ton est donné avec le premier morceau : "Rain Of A Thousand Flames" annonce un album résolument métal, proche du speed-metal par l’utilisation systématique (et il faut l’avouer, rapidement monotone) de la double pédale. Ce premier titre, ainsi que le sixième, "The Poem's Evil Page", ne sont pas de grandes réussites dans l’ensemble de la discographie de Rhapsody, même si ce sont ceux-là qui mettent le mieux en évidence les qualités solistes des musiciens. Les deux intermèdes instrumentaux que constituent le deuxième et le cinquième titres permettent de mettre en valeur la sensibilité du claviériste (Alex Staropoli) pour "Deadly Omen", introduction classisante à la première grande pièce de l’album, et la culture folklorique du groupe pour "Elnor's Magic Valley", adaptation fidèle et assez dépouillée d’un reel irlandais. Enfin, le quatrième titre se trouve être la mise en musique d’une narration théâtrale, sur le modèle des musiques de films, genre que le groupe affectionne particulièrement. Aussi l’aspect symphonique est-il très présent dans "Tears Of A Dying Angel", les chœurs se détachant régulièrement en de vastes scansions martiales.
Mais les deux pièces majeures de l’album sont bien "Queen Of The Dark Horizons" et "The Wizard's Last Rhymes". La première est une reprise (ou plutôt une réécriture, comme souvent avec Rhapsody) du thème principal de la BO du film d’horreur « Phenomena ». Ce morceau nous donne l’occasion d’entendre le groupe dans un registre quelque peu différent de celui dans lequel il avait jusque là pris l’habitude d’évoluer, avec la présence prépondérante d’une furieuse et inquiétante ligne de basse continue jouée par le piano. Outre des orchestrations toujours aussi démesurées, quoique fort nuancées lors de passages plus apaisés, Luca Turilli nous gratifie d’une splendide suite d’arpèges en sweeping, avant de lancer dans la dernière partie du morceau, en bonne intelligence avec son complice Staropoli, une paire de soli où virtuosité et mélodicité se renforcent l’une l’autre.
La seconde pièce, longue d’une dizaine de minutes, est un brillant exercice de style tout rhapsodyen autour du thème et du motif de la "Symphonie du Nouveau Monde" d’Antonin Dvorak. Curieux choix de prime abord que Dvorak, tant les influences principales du groupe semblent plutôt à situer du côté des compositeurs baroques ou bien de Wagner pour les explosions orchestrales, mais l’interprétation qui est faite du thème (annoncé une première fois par l’orchestre, soutenu par une section rythmique très agressive, puis réarrangé ensuite pour le chant) se soucie finalement assez peu des conventions classiques : Rhapsody est encore avant tout un groupe de métal, et tient à le signaler. Aussi, et cela peut sembler paradoxal, les instruments électriques ainsi que la batterie sont extrêmement présents, l’orchestre jouant un rôle de soutien, rarement d’entraîneur, excepté sur les diverses expositions du thème. Turilli et Staropoli se dérouillent les doigts le temps de quelques soli très techniques, tandis que les mélodies restent principalement assurées par le chant, puis par l’orchestre sur un final éblouissant, lyrique et solennel : du grand spectacle !
Et c’est bien l’un des reproches qu’il est possible d’adresser au groupe : tout est fait, à l’instar des films hollywoodiens, pour que l’auditeur soit sous le charme d’une superproduction musicale bien rôdée, sans réelle surprise ni grande innovation. Avec cet album, plus sombre et agressif que les précédents, Rhapsody parvient tant bien que mal à se renouveler sans se laisser pour autant phagocyter par l’orchestre. Mais cela n’aura malheureusement qu’un temps…