Octobre est un mois complexe. L’enfance est une période passionnante. Fort de ces deux réflexions, je vous soumets cette question : que fait un enfant en octobre ?
Si octobre est un mois difficile à appréhender, c’est pour sa position intermédiaire. Il est à la fois beau et triste, chaud et froid : Octobre est été et hiver, Octobre est automne. Tout ce que nous avons aimé de nos jeux ensoleillés s’efface peu à peu, tandis que nos jeux glacés n’ont pas tout à fait commencé. Ainsi, en octobre, les enfants s’ennuient. Ils perdent cette étincelle, cette insatiable énergie qui était la leur il y a peu encore. Ils collent le nez à la fenêtre et revêtissent des traits plus graves, plus tendus. Quelque part dans un coin de leurs têtes sont encore présents leurs cavalcades, leurs cris, mais tous deux sont étouffés sous le poids de la morosité.
October est pour U2 cette période précise du développement d’un enfant. Le boy découvre que tout ne sera pas toujours d’un bleu ciel éclatant, et sa fougue tente vainement de s’opposer à cet état d’esprit, convoquant en soutien une ferveur religieuse farouche. Gloria est ainsi pour U2 le dernier cri authentique de l’enfance, brillant, clair, puissant. Rejoice est une course poursuite personnelle, une révolte brouillonne mais terriblement prenante tant elle rayonne de sincérité. Le reste des clameurs ("I Fall Down", "I Threw a Brick Through a Window", "Fire", "With a Shout"…) raisonnent comme de lointains souvenirs. Elles nous touchent bien sûr, car elles sont autant de traces d’une lutte intérieure et d’une foi honnête, mais elles nous blessent également en rappelant en nous le souvenir de ce que furent les premières joies insouciantes.
Comprenant son incapacité à combattre cet état d’esprit, le petit homme choisit alors de s’y laisser glisser. C’est un mouvement involontaire, mal maîtrisé car faisant appel à des émotions nouvelles. C’est une intonation grave émise par une bouche trop jeune encore. L’enfant se réfugie alors dans des contrées connues, maternelles, l’Irlande et la mère décédée de Bono pour U2 ("Tomorrow"). Il s’effondre alors, désabusé mais pas désespéré, le sentiment de tristesse dominant mais l’espoir restant présent ("October"). Il chante avec douceur cette période paradoxale avant un ultime sursaut.
Ce sursaut est anecdotique ("With a Shout"). Il veut en faire trop et en devient brouillon. Il fait figure de simple transition au final, vers une perception plus juste de la réalité. Cette perception est incarnée par deux discours : celui encore électrisé mais plus apaisé de Stranger in a Strange Land, retenu ou éclatant au bon moment, et celui de Scarlet qui relance l’appel déchirant « Rejoice » tout en ayant enfin pris le parti de coller à l’aspect plus nuancé d’Octobre.
Cette période s’achève sur une réminiscence anecdotique ("Is that all"), copier-coller des premières heures de vie (le titre reprenant le gimmick à la guitare de "Cry", ancien morceau souvent placé en intro d’"Electric Co." en live).
Le jeune homme a déjà bien grandi, il a expérimenté les chemins de la spiritualité pour se protéger d’un hiver trop rude pour lui. Cette ferveur est comme tous les premiers amours : impulsive, malhabile mais jouissive. U2 ne se sort donc pas mal de cette figure imposée de l’enfance, avec moins de brio que dans ses premiers balbutiements, mais en affichant une franche détermination. Sa plaisante volonté de bien faire et sa capacité à approfondir la palette de ses émotions le rendent toujours aussi attachant. La maturité n’est pas tout à fait acquise, mais on ne passe pas de l’enfance à l’âge adulte instantanément ! Il faudra donc attendre la révolte et l’adolescence pour cristalliser toutes ces émotions. Nous y serons attentifs, car c’est une période toujours difficile…