Nous y sommes : l’adolescence et sa crise, le temps des premiers engagements politiques et civiques ! Fini les hochets, les textes mignons, les mélodies gentilles. Fini également les épanchements sentimentaux, les émotions mal maitrisées et les préoccupations juvéniles : bienvenue chez les adultes, dans un monde mature et cruel !
War est indéniablement une fin de cycle, la fin tout simplement de ce que les observateurs appelleront la première trilogie du groupe, celle de l’enfance, de l’innocence, de la croyance et de la violence. Comme un enfant qui met le pied en dehors du jardin familial pour la première fois, U2 est confronté de plein fouet aux agressions du monde extérieur, le sien désormais. Ces agressions, multiples et variées sont pour lui une telle source de révolte qu’il leur dédiera un album. La pochette annoncera la couleur, le boy sera repris mais profondément transformé : cicatrice sur la lèvre, regard sombre et dur, arrière plan apocalyptique, le sigle WAR nous assénant le premier coup. Si U2 a l’intention de faire du pacifisme son cheval de bataille, ce sera un pacifisme combattif, âpre et direct !
La maturité est une caractéristique qui affecte en premier lieu les instruments sur cet album, qu’ils soient humains ou mécaniques. Le jeu de Larry a évolué vers une rythmique plus carré, toujours aussi percutante et millimétrée, mais épurée des quelques fioritures qu’il s’autorisait auparavant. La rythmique militaire de "Sunday Bloody Sunday" en est un parfait témoignage bien sûr, mais la force de frappe mise en œuvre dans "Like A Song" ou "Two Hearts Beat As One" (pourtant seule chanson traitant d’amour !) est tout simplement bluffant.
The Edge pour sa part a gardé les mêmes riffs tranchants et aiguisés, ce même art des soli imparables, mais a gagné en puissance en se défaisant des échos et des aigues trop abondants de ses débuts. Adam de son côté fait une démonstration de son talent en faisant claquer chaque note tout en lui conférant un feeling monstre. Bono enfin… Bono a mué ! Il a gagné en puissance ce qu’il a perdu en vocalises trop amples, et participe à la précision de l’ensemble en posant sa voix de façon exemplaire. Pour ne rien gâcher, il démontre des qualités d’interprète décuplées en adaptant son ton à celui des chansons.
Les textes autant que les mélodies contribuent à la perfection de l’ensemble. "Sunday Bloody Sunday" devient l’une des protest songs les plus réputées et sera jouée dans tous les lives (en revêtant parfois des revendications différentes tel un attentat en Irlande dans Rattle & Hum). "Seconds", la plus enjouée en apparence, couvre la thématique de l’arme nucléaire. Elle offre un court lead vocal à The Edge sur les deux premières strophes pour l’anecdote. Ou encore "Like a Song", pamphlet envers ceux qui dénigraient déjà la musique du groupe pour son côté convenu et pas assez punk. Le reste des titres couvrent la prostitution, la confrontation entre protestants et catholiques en Irlande ou encore la fin du mouvement Solidarity en Pologne sous les coups de la loi martial…
L’adolescence est une période d’engagements vous disais-je ! Et l’engagement peut s’avérer payant, puisqu’après "Sunday Bloody Sunday", c’est "New Year’s Day" qui contribuera pour beaucoup à la renommée du groupe, les arpèges au piano de The Edge se gravant à jamais dans la mémoire collective. Est-il besoin alors de signaler que les titres n’ayant pas été cités valent tous l’effort d’une écoute attentive ? Du décalé de "The Refugee" à la trompette surprise de "Red Light", du magnétisme de "Drowning Man" aux sonorités tortueuses de The Edge sur "Surrender", vous trouverez toujours un motif de satisfaction à leur écoute.
Cet album est à l’image de son dernier chapitre, "40" : on souhaiterait qu’il ne s’arrête jamais… Mais c’est un vœu funeste au regard du propos. L’album se clôt donc, mais la carrière du groupe vient tout juste de décoller ! Et puisque nous avons tant aimé suivre ses pérégrinassions d’enfant, c’est avec joie et un intérêt décuplé, que nous le suivrons dans sa vie d’adulte…