Les voyages forment la jeunesse ! Mais que se passe-il quand on entreprend un voyage à l’âge adulte ? Eprouve-t-on la même sensation d’inconnu, de découverte ? La même excitation ? U2 va à travers ce Joshua Tree apporter une réponse exhaustive, soignée et précise. Et pour ce faire il va s’entourer de deux guides touristiques, dont ils avaient pu juger le talent dans un passé proche : Brian Eno et Daniel Lanois. La première différence notable est que Daniel tient cette fois-ci la carte routière ! Le voyage sera donc plus agité et on ne peut que s’en réjouir !
On peut voyager sur le tard et en tirer les plus riches enseignements, voici en substance la réponse que le groupe apporte à notre question. Tout ce qui fait le patrimoine culturel musical des Etats-Unis est retranscrit ici. De la voix soul de Bono à la guitare blues de The Edge, c’est un panel complet et surtout maîtrisé que nous offrent nos Irlandais expatriés. Et pour ne rien gâcher, la batterie a retrouvé de son éclat, cette force de frappe entrevue sur War, assénant des coups nets, secs, explosifs.
L’album s’ouvre sur une minute étrange, semblant tisser un lien avec l’œuvre précédente (The Unforgettable Fire), pour finalement s’en détacher et poser les bases de ce qu’on trouvera au pied du Joshua Tree. Cette minute atmosphérique, offrant un son d’orgue ample cédant peu à peu sa place à une rythmique aigue caractéristique de The Edge est l’amorce d’une trilogie imparable, la définition même du tube rock version U2 : héroïque et engagé (« Where The Streets Have No Name »), envoûtant et hymnique (« I Still Haven’t Found What I’m Looking For »), tendre et beau (« With Or Without You »). Alors que le premier des trois attaque sur un son de batterie retenue et placée en arrière plan, faisant craindre le manque de dynamisme ressentit sur The Unforgettable Fire, on est en fait vite rassuré par la suite qui voit progressivement chaque instrument reprendre l’ampleur qu’il avait sur War. Le crescendo du refrain est imparable et la mélodie gravée instantanément dans les esprits : un tube !
Le second volet de cette trilogie calme le jeu, mais sans endormir son auditoire, fédérant autour de son refrain marqué par une forte inspiration gospel. Le troisième est indéniablement l’une des grandes balades du groupe, intimiste et puissante, prenant de l’ampleur sur une ligne de basse simple mais imparable.
« Bullet The Blue Sky » durcit le ton. Les larsens de The Edge et la rythmique lourde basse / batterie soutiennent la voix de Bono qui retrouve son agressivité et son magnétisme. C’est aussi l’expression dure et grave du six-cordiste que l’on retiendra ici, qui en baissant sa tonalité parvient à préserver ce son unique et ravageur quand vient le solo. Tonalité que l’on retrouve sur « Exit », morceau magique, hypnotique, réalisant un grand écart entre atmosphère calme mais tendue et explosions rageuses libératrices.
Le reste des titres n’est en aucun cas anecdotique, chacun d’entre eux étant fortement emprunt du folklore américain. On se laissera ainsi bercer par une « Running To Stand Still » et son ambiance piano-voix, introduite par une guitare bluesy à souhait et clôturée par un harmonica aérien. L’harmonica qui sera ressorti le temps d’un « Trip Through Your Wires » aux allures de Far-West. « In God’s Country » voit Bono reprendre une tonalité lyrique quelque peu délaissée depuis les premiers albums, pour redevenir posée et chaleureuse sur l’enjouée « One Three Hill », ou offrir quelques belles montées en puissance sur la route vers « Red Hill Mining Town ».
La conclusion de l’album est à traiter à part, et peut-être même à écouter à part. Car en fait d’une conclusion, c’est un générique de fin aux airs de nouvelles envies d’ailleurs, de nouvelles expérimentations. Titre sur lequel on sent le plus l’emprise de Brian Eno. Morceau atmosphérique et expérimental, il multiplie les arrangements ou petites perles sonores sur fond d’une batterie complètement transformée qui se voit dotée d’un son électronique intrigant et intéressant. La voix de Bono se fait velours, accompagnée de chœurs lyriques discrets et d'une surmultiplication de cordes légères.
Alors oui, The Joshua Tree s’est écoulé à quelques 25 millions d’exemplaires, oui, il occupera le haut des Charts dans 23 pays, et encore oui, c’est à partir de cet instant que U2 deviendra un pilier dans l’histoire du rock, faisant la couverture du Time Magazine comme peu d’autres avant lui (The Beatles, The Who, The Band). Mais leur musique avait-elle perdu en qualité ce qu’elle gagnait en renommée ? Assurément non ! U2 est alors un groupe qui vend car il fait de l’excellente musique, n’en déplaise à ses détracteurs !