« Mesdames et Messieurs, ici votre commandant de bord qui vous parle: Bienvenue sur notre compagnie Air U2. L’élévation aura lieu dans 2 titres, en attendant nous vous invitons à vous détendre et profiter de cette belle journée ! ». « Au cours de ce vol nous tenterons de « récupérer notre titre de meilleur groupe du monde »1, vous serez juges de la qualité de ce vol. Attachez vos ceintures, préparez-vous au décollage… ».
En fait de décollage, il s’agit plus ici de forage. Les années 90’s ont été l’occasion pour U2 d’expérimentations électroniques variées et de tournées grandioses ou mégalomanes selon les sensibilités. The Edge déclarera à ce propos « Dans "Pop", nous avions tant étiré le son originel de U2 que nous étions proches de la rupture. Nous avions donc besoin d’un retour aux sources. »2
On craignait de voir le groupe faire dans la redite, tenter d’ouvrir des portes dont il avait perdu les clés. On n’avait pas tout à fait tort : "All That You Can’t Leave Behind" est marqué du sceau des premiers albums. Il en a les qualités, l’âge et une certaine facilité se chargeant de lui infliger ses défauts.
Nous retrouvons des tubes rock en puissance (« Beautiful Day » ou « Elevation ») des ballades héroïques aux sujets forts (« Walk On », « Kite ») ou plus légers (« When I Look At The World ») et des titres intimistes (« In A Little While », « Peace On Earth », « Grace »). Les Irlandais semblent même donner une suite à leur période américaine avec un « Wild Honey » très typé sud-américain. Seul « New-York » fait figure d’OVNI entre restes électro et guitare presque punk-rock. Tout aurait été parfait, si seulement…
Si seulement U2 n’avait pas vieilli. Premier constat : alors que l’œuvre précédente était titrée "Pop", c’est cette nouvelle production qui l’est bien plus. Les titres sont formatés, calibrés pour des passages radio sur-multipliés. Bien sûr, U2 est déjà passé à la radio ! Mais c’était en réponse à un cahier des charges différent. Aujourd’hui les mélodies semblent aseptisées, les messages ont disparu. Deuxième constat : la voix de Bono est en permanence à la limite de la rupture. Lui qui jouait naguère si bien sur le fil de cette frontière ténue, nous faisant parfois craindre le pire, mais parvenant à maîtriser ses faiblesses avec panache, le voici en couineur ou hurleur plus qu’en chanteur.
Dernier constat et non des moindres : U2 a composé un album à hits, ou à singles. La belle unité qui faisait de chaque production irlandaise un concept sonore en soi, a disparu ici. C’est un empilement sans réelle âme qui nous est proposé. Nous pardonnerons ainsi moins facilement une fin d’album qui de douce passe à molle.
C’est donc un jugement triste et un brin mélancolique que nous pouvons rendre sur cet album. U2 ne souffre pas d’une mauvaise qualité présente, mais d’une excellente qualité passée : ce disque, composé par tout autre groupe plus jeune, aurait été jugé de façon positivement différente. Mais avec des « si », je mets Paris en bouteille, je fais rajeunir quatre Irlandais et U2 redevient effectivement le plus grand groupe de rock. Dommage…
1 : Propos tenus par Bono dans l’article « Can Bono Save The World? » dans Time, le 23/02/2002.
2 : Extrait d’un entretien accordé au Monde, le 20/02/2009.