"Antisocial, tu perds ton sang-froid.
Repense à toutes ces années de service."
Qui n’a pas déjà entendu jusqu’à satiété ce refrain ? "Antisocial" est en effet, en France, un hymne intemporel, au même titre qu’un "Smoke On The Water" ou qu’un "Jump". Mais alors que ces derniers titres ont un contenu assez léger, Trust balance avec "Antisocial" un petit brûlot dont on imagine mal aujourd’hui qu’il puisse trouver résonance auprès du public.
Pourtant en 1980, Trust, fort du succès de son très bon premier album, surfe sur la frustration ambiante qui accompagne la fin du mandat de Valéry Giscard d’Estaing, et sur la soif de changement d’une partie de la jeunesse. Ce besoin d’exutoire, que le Punk aurait du assouvir s’il n’avait pas été en grande partie occulté en France par la vague Disco, Trust va y répondre en y mettant les formes et le fond.
En février 1980, le groupe retourne au Scorpio Sound Studio de Londres pour enregistrer son second disque. A cette occasion, il retrouve Bon Scott (AC/DC) qui travaille sur le successeur de "Highway To Hell" et avec lequel le groupe enregistrera, le 13 février 1980, une version de "Ride On" qui ne verra le jour qu’en 2000.
Six jours plus tard, le 19 février 1980, Bon Scott décèdera. Trust, qui venait d’apprendre la veille que son premier album était disque d’or, lui dédiera son nouvel opus
Le disque rencontre un succès immédiat dans l’hexagone où il se vendra à 1 million d’exemplaires en moins d’un an. Cette réussite populaire est un véritable raz de marée, qui voit les sacs 'US' des écoliers de l’époque s’orner d’un 'TR.US.T' du meilleur effet, et le refrain pré-cité résonner dans toutes les bouches.
Trust assurera la promotion de "Répression" via une tournée titanesque qui verra le groupe écumer toutes les salles de France et même tenter de s’exporter en Europe (le groupe participera au festival de Reading) via une version anglaise de l’album pour laquelle ils demanderont à Jimmy Pursey, chanteur du groupe punk Sham 69, de leur prêter main forte pour la traduction.
Habile combinaison de hard-rock, de blues et de punk, "Répression" est bien plus qu’un simple album de hard-rock. La diversité des compositions, des ambiances et des tempos ont fait de ce disque une œuvre pouvant rassembler un très large public. Les légers défauts de l’album précédant (une production un peu faiblarde et des compositions parfois un peu dispensables) ont été totalement gommés. Le groupe est stupéfiant d’efficacité, de ferveur et de cohésion. Cela est d’autant plus surprenant que le line up vient juste d’être remanié. Yves Brusco (Basse) vient juste de remplacer Raymond Manna. Peu de temps après Kevin Morris (Batterie) remplacera Jean Emile Hannela.
Mais si la section rythmique assure son devoir sans éclats particuliers, la magie vient principalement de la voix de Bernard 'Bernie' Bonvoisin et de la guitare de Norbert 'Nono' Krief. Ce dernier brille de milles feux. Que ce soit en rythmique ou lors des soli, il éclabousse le disque de son feeling et de sa technique. Son jeu est agressif et rapide tout en restant précis et clair. Ses interventions sont inspirées, les riffs d’"Antisocial" et d’"Instinct de Mort" en sont des exemples flagrants.
L’autre magicien du groupe, n’est autre que Bernie. Bien que sa voix, soit aux antipodes du style de chant haut perché popularisé par les chanteurs hard de l’époque, il apporte indéniablement une saveur toute particulière au groupe. La clarté de son élocution, la chaleur de sa voix et son sens de la mélodie se combinent à merveille avec le son des guitares et les textes, souvent brut et hargneux. Il est vrai que les textes, qui sont considérés comme étant la marque de fabrique du groupe et l’un de ses points forts, sont très corrosifs et nécessitent une mise en avant et une diction parfaite. C’est le cas ici avec une production excellente.
Mais le tube "Antisocial" ne doit pas éclipser le reste des morceaux.
"Monsieur Comédie" et son tempo endiablé qui va crescendo, traite du retour de l’Ayatollah Khomeyni en Iran un an auparavant. La dureté des propos est assez surprenante (prémonitoire ?) au regard de l’aura assez positive dont disposait encore à cette époque le dignitaire iranien du fait de sa présence en France et de son image de libérateur du peuple.
"L’Instinct De Mort", qui reprend le titre du livre écrit par Jacques Mesrine et publié illégalement 3 ans plus tôt, traite de la mort de ce dernier 4 mois auparavant. La violence des paroles et de la musique sont encore une fois assez surprenantes et nous invitent à nous replonger dans une époque, pourtant pas si lointaine, où la liberté d’expression avait une toute autre dimension.
"Au Nom De La Race", peut être le morceau le plus faible de l’album, introduit une section de cuivres du plus bel effet.
"Passe", fait ressortir les racines blues-rock de Trust.
"Fatalité", le premier single, préfigure peut être le besoin d’évolution que démontrera le groupe quelques années plus tard. Cette chanson, alterne les tempos et les sonorités en utilisant notamment un piano et un saxophone. Le résultat est excellent, la musique comme les paroles jouant sur la dualité douceur/dureté. Le thème de la difficulté de vivre dans les cités y est abordé de manière originale et décalée.
"Saumur", est un titre un peu à part. Bien que le titre soit assez 'pauvre' au niveau musical, sa renommée est très forte auprès des fans. Encore une fois, le décalage entre la violence des paroles et la relative douceur de la musique fait des merveilles. Le tempo lourd et lent, conjugué au style déclamatoire utilisé par Bernie concourent à faire un titre fort de cette charge contre la bourgeoisie bien pensante de province.
"Le Mitard", dont les paroles ont été écrites par Norbert Krief, s’inspire du livre "Instinct de Mort", déjà cité plus haut. Le titre commence par une déclamation lancinante et froide soutenue seulement par la basse, puis s’emballe pour terminer brusquement par l’enregistrement d’une déclaration de Mesrine. L’ambiance est oppressante et le texte bien dérangeant.
"Sort Tes Griffes", aborde également l’univers de la prison en traitant des difficultés liées à la réion des anciens prisonniers. Le morceau est très violent et la voix de Bernie est portée par la hargne et la passion. Le final est sublime d’émotion.
"Les Sectes" clôture l’album en beauté, le groupe proposant là un véritable feu d’artifice. Les guitares fusant dans tous les sens et le débit style 'mitraillette' de Bernie font de ce titre un petit bijou speed. Prenant comme prétexte le 'suicide collectif' de 914 membres de la communauté du 'Temple du peuple' sous la direction de Jim Jones en novembre 1978, le groupe se livre à une violente critique des dérives religieuses, montrant une fois de plus qu’il a le sens du slogan et de la formule choc.
"Répression" était, jusqu’à il y a peu, le disque de hard-rock (au sens large) le plus vendu en France. Et il y a fort à parier qu’au regard de la crise de l’industrie du disque, cette place ne lui sera jamais ravie. La résonance de cet album peut également être évaluée, d’une part par la reprise que le groupe Anthrax, alors au faîte de sa gloire, fera du titre "Antisocial" sur son album "State Of Euphoria" en 1988. Cette reprise est désormais considérée comme un classique incontournable du groupe new-yorkais qui reprendra d’ailleurs "Les Sectes" un peu plus tard. Et d’autre part, par la présence de ce titre sur le jeu vidéo "Guitar Hero III : Legends Of Rock".
Une réussite totale, un disque d’une maturité et d’un avant-gardisme sans équivalent et certainement le meilleur album d’une discographie pourtant très riche. Bien plus qu’un album, cet opus est le témoin d’une époque.