Difficile de faire original, de nos jours, avec un album de guitare instrumentale. Les dinosaures Joe Satriani et Steve Vai n’ont pas simplifié les choses pour les jeunes guitaristes désireux de faire entendre au reste du monde leur toucher et leur créativité. Seuls quelques uns arrivent à sortir du lot, Dave Martone par exemple. A défaut d’originalité certains versent dans la surenchère technique ou technologique essayant de rivaliser avec le Passion & Warfare de Steve Vai qui alliait technicité, recherche sonore avant-gardiste et technologie avec pour la première fois l’utilisation de la fameuse guitare sept cordes qui deviendra plus tard l’outil de nombreux guitaristes.
Strings 24 est un trio de guitaristes italiens qui utilisent chacun une guitare huit cordes! (d’où le 24). Outre le fait que peu de trio se soient illustrés en terme de guitare instrumentale (hormis bien entendu le Guitar Trio jazz Laughlin-DiMeola-De Lucia), l’originalité de la guitare huit cordes devient avec cet album un argument commercial. On pourrait s’en inquiéter mais bien heureusement le contenu de ce disque va au-delà de l’anecdote en proposant une musique inspirée et intéressante, comme nous allons le voir.
Nos trois fines lames italiennes viennent de divers horizons, créant au sein d’un même morceau plusieurs séquences venant briser une potentielle monotonie. Stefano “Sebo” Xotta est plutôt estampillé classic-rock avec des références comme Zakk Wylde ou Gary Moore, Frank Caruso est influencé par Malmsteen et son père spirituel Ritchie Blackmore et enfin Gianluca Ferro se réclame plus des guitaristes de métal progressif. Cette diversité s’entend à chaque fois que l’un d’entre eux prend un solo et la polyvalence des trois compères balaie assez large pour contenter tous les amoureux de guitare instrumentale.
L’album débute parfaitement avec une courte intro (« Introspective ») très sombre de part la tonalité des huit cordes et qui aurait être le début d’un excellent « véritable » morceau. C’est pourtant « Outraged Dimensions » qui inaugure vraiment l’album avec un morceau très typé Planet X, alliant mélodies et rythmiques incandescentes. Chaque musicien réussit à trouver sa place pour son solo et les interventions à l’unisson sont très heureuses.
Les formats rock sont assez bien représentés avec tantôt néoclassicisme (« Running In the Wind »), tantôt appétence progressive (« Mystical Thoughts »); mais pas seulement. Par exemple, le morceau blues sur-vitaminé « Double D » est un excellent choix car il laisse toujours beaucoup d’espace pour les prises de soli, et ceux-ci sont particulièrement bien sentis dans cet album. Pour alléger l’ensemble, les trois italiens ont eu la bonne idée d’insérer quelques mid-tempo avec « Remember Blues » et son intro hendrixienne, « Flown » et ses magnifiques effets en son clair ou « Besides Nowhere ». Le dernier titre de l’album, « Go Down Peter! », basé sur le thème « Petergun » du film Blues Brothers, est aussi bien remanié.
Même si la part belle est faite à la guitare, Strings 24 n’en oublie pas le contexte et dans cet esprit, les interventions des claviers sont aussi nombreuses que lumineuses. On citera entre autres l’orgue Hammond de « Remember Blues » et les nappes très colorées de « Mystical Thoughts ».
J’espère vous avoir convaincu que cet album est une franche réussite, à mille lieux de certains albums instrumentaux qui en font trop. On peut même parler d’intelligence de composition dans le sens où, venant d’horizons divers, nos trois virtuoses arrivent à cohabiter idéalement au sein de cet album, soit dans la succession des soli proposés, soit dans l’unisson des riffs, soit enfin dans la capacité à s’intercaler pour créer une ligne mélodique (à écouter notamment sur « Running in The Wind »).
La technique est au rendez-vous mais le toucher est plus souvent mis en avant, pour notre plus grand bonheur. En ce sens, on peut effectuer un parallèle entre le trio et un guitariste comme Steve Stevens qui a toujours su faire la part des choses. Chaque morceau de ce Strings 24 est une réussite avec le savant dosage de ce qui fait les excellents albums de guitare: riffs inspirés et mélodieux, cassures rythmiques et variété dans les tempos et enfin soli avec toucher et technique. Finalement, le prétexte vendeur de la guitare huit cordes est secondaire. L’argument principal est tout simplement que Strings 24 est un vrai et bel album de guitare à consommer sans modération.