A l’heure de l’anglophilie galopante, il est rare de trouver dans un genre, au public aussi divers et international que le progressif, des groupes proposant un disque dans leur langue maternelle. Et plus encore lorsqu’il s’agit de l’allemand, réputé froid et rugueux, peu chantant et encore moins poétique. Nul besoin de discuter une telle affirmation, il vous suffira de lire – voire de déclamer, si vous vous sentez quelque affinité avec l’allemand – un poème de Goethe ou une page d’Hoffmann, pour vous convaincre du contraire. Traumhaus, littéralement "la maison du rêve", a choisi de conserver sa langue ; et d’emblée, sur cette seule question linguistique, il me semble qu’il s’agit du bon choix. Car le groupe officie dans un registre très codé, assez fermé et dominé par quelques maîtres – anglophones – du genre tels Pendragon, Pallas, Arena, Marillion… Vous l’aurez deviné peut-être, je parle ici de rock néo-progressif. Ce faisant, nos quatre allemands réussissent fort bien à asseoir leur individualité et à affirmer l’identité de leurs compositions face aux références précédemment citées.
« Die andere Seite » ("L’autre face") est donc un album de néo-prog mais pas seulement car si la voix, au timbre légèrement popisant, ainsi que la place occupée par les claviers, le confirment, nous dirons cependant que le groupe se place plutôt aux côtés de Sylvan dans le renouveau du prog germanique. Cette comparaison se trouve renforcée par des morceaux évoquant ceux de la bande à Marco Glühmann, de par leur qualité, leur simplicité d’accès et leur diversité tendant parfois à effacer – tout en le renforçant – leur apparence purement progressive.
Il y a dans la musique de Traumhaus un lyrisme naturel, allant de soi, teinté de mélancolie et d’urgence parfois, qui rend leur album immédiatement attachant. Mais cette immédiateté, dont l’absence fut souvent reprochée au progressif, ne serait rien sans une réelle intelligence des structures et la virtuosité des musiciens. Cette virtuosité, je tiens à la pointer, non parce qu’elle porte en soi tout l’album, mais parce qu’elle est mise au service des mélodies et de l’accompagnement harmonique et rythmique. Quant aux soli, notamment de guitare, ils convaincront l’auditeur le plus allergique à la vélocité, tant ils contribuent à l’efficacité émotionnelle des morceaux ; et sentir, de la part d’un musicien, qu’il maîtrise son instrument tout en sachant s’effacer derrière une musique dont il n’est qu’un artisan parmi d’autres, cela fait du bien à l’heure où un groupe comme Satellite, néo-progressif également, nous sert dans son dernier album des soli scolaires, dénués de technique autant que de feeling.
Les trois meilleurs pièces du disque sont de toute évidence "Die andere Seite" (Part 1-3). Totalisant à elles seules près de 30 minutes de musique, elles montrent tout ce dont Traumhaus est capable. Les différentes parties s’enchaînent avec d’autant plus de facilité qu’elles correspondent à des approches musicales diversifiées : exposition des thèmes, ponts rythmiques ou au contraire plus atmosphériques, interludes mélodiques déclenchant soli de guitare et de clavier, simple accompagnement des couplets et refrains… Quant au thème principal, que l’on retrouve subtilement réinterprété dans les trois morceaux, il est porté par le chant en un refrain mnémonique au possible, extrêmement mélodique. Les claviers, omniprésents, soutiennent sans cesse une guitare au jeu varié (riffs typés métal prog, arpèges, accords grattés en acoustique, rythmiques syncopées aux couleurs soft-jazz dans "Die andere Seite Part 2"), tandis que le batteur, l’air de rien, propose un jeu intense, subtil et complexe.
En fait, Traumhaus propose un album sans esbroufe, modeste et faussement simple – la production, sobre et mesurée, allant dans ce sens – , qui révèle finalement une incroyable richesse. On est bien loin de l’ampleur sonore privilégiée par certains groupes de néo-progressif, et pourtant « Die andere Seite » se montre tout aussi intense, sensible et lyrique. Oui, Traumhaus porte décidemment bien son nom. Qui ne voudrait pas un jour se réveiller après un rêve dans lequel tendresse, mélancolie et puissance s’uniraient en une forme d’extase onirique, aussi brève qu’unique ?