Bonjour, cher lecteur, et bienvenue pour ce cours sur les concepts qui entourent la musique. Au programme d'aujourd'hui, le préjugé, qui frappe particulièrement chez les mélomanes (pour le type du fond qui ne voyait pas le rapport). Si il fallait résumer cette notion, je dirais qu'il s'agit de donner un caractère définitif à un jugement à priori.
Rien ne vaut un exemple. Et en terme d'exemple, rien ne vaut la caricature. Prenons donc Sabaton. Sabaton est un groupe de heavy metal suédois qui est connu pour faire une musique exempte de toute subtilité aux thèmes musicaux et narratifs particulièrement récurrents. Et pour cause. Un petit passage sur le site officiel du groupe est édifiant. Des références à la guerre sont présentes partout : les clips sont remplis de scènes de la deuxième guerre mondiale, les musiciens portent tous des pantalons treillis, ont des silhouettes de G.I., et ne manquent aucune occasion de placer les mots 'war', 'fight', 'battle' ou encore 'victory' dans des refrains fédérateurs.
Après toute cette hilarité (soyons honnêtes), il devient difficile d'imaginer l'album comme une réussite. Et c'est là qu'intervient le préjugé. La chronique s'amuse à s'écrire toute seule dans la tête du chroniqueur qui, rappelons le, reste un humain, avec ses faiblesses. Au fur et à mesure que les mots s'installent, il commence à se dire qu'il tient la perle du siècle. Dans la seule première phrase bataillent entre eux les termes 'soupe', 'kitch', 'barbare', 'grossier' et j'en passe. Le tout appuyé par quelques écoutes de titres isolés par ci par là, et par le souvenir cuisant des pantalons treillis.
Et puis, fatalement, viens le moment de rédiger. Plus question de déconner, il faut du concret. C'est douloureux mais il va falloir se plonger dans cette bouse, avec pour unique motivation d'en retirer quelques adjectifs cuisants supplémentaires. Ils vont voir ce qu'ils vont voir ces clowns, avec leurs pantalons treillis...
Et là: surprise. L'album n'est pas mauvais. Pourtant les premières écoutes dégagent des défauts évident. Les mélodies sont grossières, les sons de claviers kitchs (je vais les placer, tous mes adjectifs acides), le rythme est régulièrement cassé par des interludes sans intérêt dictées froidement par une voix de GPS à l'opposé de l'ambiance 'sueur et armes' de l'album. Non mais.
Mais reste la musique. Restent des refrains extrêmement efficaces qui nous font headbanguer inconsciemment. Et voilà que celui de "The Art of War" s'incruste dans votre tête. Un comble. Voilà qu'un phrasé, sur "Cliff of Galipolli", vous rappelle le coté épique d'Iron Maiden (comme ça, sans même passer par la case Iced Earth). À propos d'Iced Earth, la voix du chanteur ressemble furieusement à celle de Matt Barlow (avec un peu plus de coffre). Bref, l'album en devient attachant...
Il s'avère aussi que cet opus est un concept album qui traite en parallèle des grands conflits de la seconde guerre mondiale et du premier livre de stratégie connu intitulé "The Art of War". En se concentrant il est d'ailleurs possible de faire le lien avec le titre de l'album. Dans ce cadre, l'aspect guerrier omniprésent trouve bien sa place.
Renseignements pris et préjugés mis de coté, la métaphore (très filée) de la guerre est un parti pris amusant. Le groupe présente son site comme un quartier général où les chansons sont des machines de guerre et les tournées des invasions. Sur scène, ce coté guerrier est joué à fond pour un résultat original et une ambiance décalée. Le chanteur brandit des drapeaux, harangue la foule comme un vrai chef de guerre. Le groupe lui même ressemble à une escouade notamment car ils portent des pantalons treillis (vous l'ais-je dit ?).
Je vous épargnerais la petite fin moralisatrice sur le préjugé. Il ne faudra pas faire un grand effort pour être séduit par cette galette certes imparfaite, mais bien moins médiocre qu'il n'y parait de prime abord. Même si, quand même, ces pantalons treillis...