Comment ? Tu peux me répéter ça, Coco ? “Oxymore dans la Chrysalide des Rêves” ... c’est quoi, ça ? Cinéma art et essai ? Danse contemporaine ? Sculpture figurative ? (...) Ah, rock progressif français ! J’aurais pu m’en douter ... Non, c’est juste que dans l’univers très fermé de ce type de musique, les successeurs d’Ange ne manquent pas et, trop souvent, se réfugient dans un registre ésotérique plutôt fumeux. (...) Oui, tu as raison, Coco, pas d’a priori, je vais écouter ce disque et te dire ce que j’en pense. Ils viennent d’où, tes lascars de Narr ? Jazz (Cirque Lunaire), heavy-métal (Bloody Sign), musique médiévale (Tormis) ... Très éclectique, tout ça, dis-moi ! Quatuor, dis-tu ... Clément Werner, auteur-compositeur-bassiste-chanteur, Marti Uibo, precussions et vocaux, Kalevi Uibo, guitariste et un flûtiste, Laurent Lefebvre. Donc pas de claviériste ? Curieux, par les temps qui courent, dans le prog. Bon, j’écoute et je te rappelle !
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Salut, Coco ! Je te rappelle pour Oxymore ... Comment dire... C’est original, presque en contre-réaction contre les tendances actuelles du prog qui a plutôt tendance à durcir ses lignes, ces temps-ci. L’influence métal n’est pas du tout perceptible, tu sais ... Non, musicalement nous sommes du côté d'un folk progressif, avec une instrumentation assez uniforme, articulée autour d’une basse mélodique (gros travail), une flûte pour la touche d’exotisme, et quelques accords lointains aux claviers. C’est prog par les changements de rythme, folk médiéval dans les sonorités et le côté calme, assez proche de Stille Volk. Ils se connaissent, d’ailleurs (Kalevi et Marti ont collaboré dans le projet Tormis). L’ensemble est produit avec exactitude compte tenu des ambiances délivrées.
Vocalement, Clément Werner chante souvent dans les graves, avec un doublage fréquent à la tierce. Ce mariage ne donne pas un chant très folichon, nous sommes presque dans le grégorien, si tu vois ce que je veux dire ; oui, Coco, oui, ça participe à l’ambiance générale, mais ce n’est pas, disons, instantanément emballant, surtout sur des lignes mélodiques plutôt hypnotiques (Ronces et Iconoclasmes, la valse lente de la Dune Bleue). Je vais même aller plus loin, tiens, dans le Bal des Larves, il transparaît un côté trop-sérieux-prise-de-tête vaguement ridicule qui m’agace, ce côte intellectuel élitiste qui met de côté l’auditeur ...
Et cet aspect négatif est renforcé par les paroles ... Mais si, Coco, j’ai bien entendu qu’il s’agit de poésie, avec des titres pareils, on s’en serait douté : la Lyre Cornue Pleure, Céphalée Neptunienne et j’en passe ... D’ailleurs l’auteur lui-même dit en interview : “Je ne cherche pas tellement à rendre [les textes] compréhensibles aux yeux des gens”. Soit. Personnellement , j’avoue décrocher quand on me parle de “portes gravitant au gré des courants” ou quand j'entends “comme les poussières des cités mouvantes abolissent la gravité / comme les larves humides et savantes sont sur le point d’exister”.. (...) Oui, je comprends que l’univers de Narr soit basé sur l’onirisme, l’ésotérisme, le mysticisme, et je peux tout à fait l’admettre. Le petit problème, c’est que le texte est mal délivré : avec un chant aussi grave et une diction indistincte, l’auditeur francophone normalement constitué perd un mot sur dix, ce qui le rejette encore au-delà de l’univers proposé, tu comprends, Coco ?
Les instrumentaux (La Lyre Cornue Pleure, Ruisselle on un petit coté Anglagard sympathique, le souffle épique en moins, mais souvent, entre les musiques lancinantes (et je pourrais avoir la dent plus dure) et des textes difficiles à suivre, la plupart des auditeurs vont très rapidement décrocher, et Narr se trouvera rejeté dans un élitisme confidentiel réservé à ceux qui auront pu s'immerger dans leur univers... Dommage, car le progressif est une bonne façon de servir la langue française, non ?