Quand après 20 ans de présence dans le groupe, Rob Halford a annoncé son départ de Judas Priest le 4 juillet 1991, les fans ont bien pensé que cela en était fini de la carrière d’un des plus grands groupes de Heavy-Metal britannique. Car Halford, plus qu’un chanteur, était la marque de fabrique du Priest, son symbole, de par sa voix légendaire et son charisme unique. Le remplacer apparaît donc comme un défi impossible pour le groupe et, de fait, celui-ci va mettre quatre ans pour trouver le chanteur jugé idéal. Quatre années au terme desquels on pensait bien le Priest complètement mort et enterré. Et pourtant le Priest va se relever en engageant au chant Tim Owens, sur conseil du batteur Scott Travis. Tim Owens a en effet tout du remplaçant idéal : il chante dans un tribute-band dédié à Judas Priest et se fait appeler Ripper en référence à un titre du groupe. Le résultat va rapidement donner un nouvel album car les compositions ont eu le temps d’être écrites pendant le long laps de temps de recherche.
Et c’est donc six ans après « Painkiller » que « Jugulator » voit le jour. Si « Painkiller » avait été un gros succès, il avait également été pris en grippe par certains fans en raison de son ton ultra heavy aux frontières du Thrash. Loin de se calmer, le groupe va proposer avec « Jugulator », le disque le plus violent de sa carrière avec un power métal puissant et ravageur qui surprendra les vieux fans du Priest non avertis.
Vocalement, le choix de Ripper Owens est idéal. L’homme est le clone vocal parfait de Rob Halford, avec cette même capacité à monter très haut dans les aigus, et aussi celle de calmer le jeu quand il le faut avec une palette assez large dans les graves. Mais dans cette volonté d’aller toujours plus loin, Tipton et Downing, ont un peu trop négligé les mélodies, notamment sur les soli. En outre, le son du disque est assez difficile à supporter, très moderne et synthétique, et très marqué par une volonté de sonner dans son époque.
Mais « Jugulator » ne se résume pas à ces points négatifs. Le fameux son décrié ci-dessus se veut aussi un atout pour instaurer une ambiance glaciale, attrapant ainsi l’auditeur à la gorge pour ne plus le lâcher. Cet aspect est d’ailleurs renforcé par des paroles guillerettes traitant toutes de la mort et de la fin du monde en général. Les compositions, du moins sur la première partie de l’album, s’avèrent pour la plupart imparables tel le titre éponyme d’ouverture qui monte doucement en puissance par une longue intro assez calme pour s’emballe d’un coup et tabasser sévèrement à coup de double pédale, de riffs ultra rapides et de lignes de chant réellement impressionnantes. Après ce titre que n’auraient pas renié Machine Head ou Pantera, le groupe calme très légèrement le jeu avec « Blood Stained », un morceau sombre bien heavy avec une batterie encore très en avant et un Ripper qui module son chant notamment sur un refrain lourd et efficace. S’ensuit l’excellent « Death Row » et son intro lugubre à souhait, digne d’un film d’horreur, qui s’efface pour laisser la place à un riff tout simple mais très bien trouvé avant un démarrage heavy et un excellent refrain taillé pour la scène.
La suite est malheureusement bien moins affriolante. Les titres bourrins et sans âme s’enchaînent tels « Decapitate », titre bruyant et mal chanté au refrain quasiment inaudible, ou encore « Abductors » qui ne décolle jamais complètement, se contentant juste de reproduire les schémas de la scène Power-Metal avec pas mal d’effets sur le chant et la musique. Dans ce milieu d’album faiblard, nous sauverons juste « Burn In Hell » pour la prestation énorme de Ripper dont la hargne sur le refrain est particulièrement remarquable. La fin du disque est heureusement sauvée par deux excellents titres ; « Bullet Rain » tout d’abord qui est sans doute le plus proche du Judas d’antan avec une inspiration typiquement Heavy-Metal, un refrain facile et mémorisable, des soli de qualité et surtout une mélodie générale cette fois bien présente, et « Cathedral Spires », composition à tiroirs de plus de neuf minutes avec une excellente intro en arpèges qui donne le ton, un chant montant doucement en puissance pour aboutir à un refrain épique gigantesque digne de la grande époque du groupe.
Avec ses aspects Power-Metal et ses titres brutaux manquant parfois de finesse, « Jugulator » est certes un disque difficile d’accès pour le fan non avertis, mais il conserve certaines qualités. Judas Priest a trouvé un très bon chanteur et il propose plusieurs titres de très bonne facture. Si la machine Judas Priest est relancée, il ne reste plus qu’à espérer qu’elle poursuivra sa route dans une direction plus mélodique.