En 1992, un humanoïde du nom de Blackie Lawless avait sorti l'album de tous les superlatifs : "The Crimson Idol". Il restait depuis lors, pour lui et ses fans, un Graal autant qu’un traumatisme car il avait engendré le sentiment que cette perfection ne serait jamais plus atteinte. Le précédent opus « Still Not Black Enough », quoique bon, était venu confirmer cette impression, au point de nous faire craindre que W.A.S.P. soit condamné à une redite infinie, autant dire une mort artistique. Mais nous nous trompions alors lourdement, car si Blackie avait été impérial, il était écrit qu’il le serait à nouveau, mais différemment. Restait à savoir quels allaient être les changements.
Le son d’abord, âpre, sale, lourd, marqué du sceau des productions industrielles apparues depuis le début des années 90 sous l’impulsion de groupes tels que Nine Inch Nails. Un son d’une telle puissance, impose une domination si forte des ambiances, qu’il vient étouffer même la voix d’un Blackie plus haineux et malsain que jamais. L’album s’ouvre donc sur un « Kill Fuck Die » reprenant tous les éléments des hymnes qui ont fait et font toujours la légende de nos Américains, mais pour les plonger dans une violence inédite et jamais reproduite depuis.
Cette débauche de rage se poursuit sur les énormes « Take The Addiction », de façon directe et immédiate, « My Tortured Eyes », en ménageant des crescendo et explosions purement jouissives, ou « Killahead », au prix d’une noirceur poussée à son paroxysme. La voix même de Blackie se voit frappée par cet aspect métallique, déshumanisé, mais reste le vecteur principal d’émotions horrifiques démentielles.
« Kill Your Pretty Face » vient presque nous apaiser au milieu de ce déluge furieux, le chant résonnant au loin comme un murmure mystique, tandis que la trame instrumentale se fait plus dense et oppressante. Le refrain apparaît et explose littéralement à la fin d’une tension devenue insoutenable. « Little Death » poursuit dans cette fois en ne parvenant toutefois pas à atteindre la même intensité, la faute à une linéarité plus marquée.
Trois monstres se dressent encore devant nous : « U » le premier, s’amorçant sur un riff presque oriental et hypnotique, nous jetant sa haine au visage avec une conviction implacable. « Wicked Love » poursuit la marche en étalant un amour malade, malsain, torturé. Les effets déployés sur les autres titres sont ici légèrement atténués, mais le son reste impitoyablement brutal, massif. « The Horror » vient fermer la marche macabre, reprenant des phrasés orientaux plus doux, allumant presque une lueur d’espoir dans ses lignes mélodiques, s’achevant sur un ultime déluge d’une hargne toujours intacte, nous laissant désemparés face au silence.
Habité par une soif toujours plus grande, Blackie Lawless est mu par une rage non seulement intacte mais grandissante. Il vient à nouveau de se dresser, d’avancer d’un pas implacable, de vociférer une colère pourtant mélodieuse, d’annihiler tout ce que nous savions, de créer tout ce que nous aimons. W.A.S.P. est toujours vivant.