Une constatation vient à l’esprit à propos du nombre de groupes français, et qui plus et de qualité, dont la terminaison aboutit à la première lettre de l’alphabet. Citons par exemple Venturia, Kalisia, Anthropia ou les plus jeunes Ilungara dont les chroniques en général sont le plus souvent représentatives des atouts de ces formations. Et bien il s’agit encore d’un groupe en "a", en l’occurrence Abinaya (mot voire même prénom d’origine indienne dont le sens premier est communication), qui présente son deuxième album intitulé "Corps".
Ce combo parisien a choisi une nouvelle fois de s’exprimer dans la langue de Molière pour illustrer le contenu de "Corps" sans doute pour mieux faire passer les vibrations, qu’elles soient enjôlées ou pessimistes. Les thèmes abordés reposent sur les relations difficiles entre les hommes, autour de la guerre, de l’amour, de la vie et bien entendu de la mort. Quant à l’aspect musical proposé par Abinya, il repose sur un axe métal / hybride tortueux et généralement brutal par le biais de riffs puissants. Cet état de fait chaleureux et bondissant se renforce dans une atmosphère tribale par l’apport des percussions fort bien maniées par Nicolas Héraud. La section rythmique s’en retrouve donc atomisée par ces sonorités "root", d’autant que la basse fluide et métallique d’André Santos ne se prive pas d’y apporter un supplément de groove.
Cette ambiance s’apparente à une sorte de fournaise dans laquelle les quatre musiciens affichent un professionnalisme qui ne se dérobe à aucun moment. Le son de cette production, particulièrement costaud, est plutôt bien adapté à ce genre de concept musical. La voix d’Igor Achard tranche assez nettement avec la férocité ambiante mais s’y pose finalement en totale harmonie. Cependant, "Corps" se révèle encore bien davantage comme une terre de contraste par la diversité des idées développées.
Fortement influencé par le néo métal, Abinaya y plante ses griffes en imposant son style direct tout en conservant une fibre mélodique bien présente et une consistance poétique non négligeable. En face des rythmiques lourdes et syncopées se dressent des éléments subtils et acoustiques (notamment la splendide ballade "Partir puis revenir "). Mais la teneur ainsi que les élans mélodiques de certains titres ("Algo Mais", "L’homme Libre") font ressortir l’ombre d’un groupe aussi mythique que Noir Désir. Abinaya se permet même un exercice de style en empruntant un texte de Baudelaire (" La mort des amants") sur un fond rock bien rentre-dedans. Dommage toutefois que ce titre souffre d’un refrain assez convenu, heureusement rehaussé par le décrochement en solo d’Igor Achard.
Même si cet album connaît quelques légères baisses de régime, aussi bien sur les textes ("Les labels", au contenu argumenté mais assez caricatural) que sur la musique ("Testament", un morceau moins inspiré que les autres), Abinaya démontre clairement ses ambitions en tant que groupe de métal / fusion très convaincant. Une réelle identité transpire sur ce nouvel opus, ce qui permet d’affirmer que le quartette peut envisager l’avenir sous un angle des plus prometteur. "Corps" se déguste comme un album haut en couleur, car mêlant très habilement des éléments d’origine diamétralement opposés. Mais la magie opère lorsque Abinaya prend les rennes d’un traîneau sillonnant tout ce que les aléas de la vie peuvent laisser devant ou derrière eux.