Difficile de concevoir pires conditions pour la réalisation d’un album que celles qui ont prévalues pour « Ni Dieu, Ni Maître ». Après deux reformations vite avortées (1988 avec « En Attendant » et 1996 avec « Europe & Haines »), les relations au sein de Trust se sont à nouveau distendues. Nono continue à s’investir dans le studio d’enregistrement qu’il vient de lancer et qui a déjà été utilisé pour les sessions de « Europe & Haines ». Il participe avec David Jacob à la BO du film de Martin Lamotte « Ça Reste Entre Nous ». Hervé Koster accompagne Yannick Noah. Et Bernie poursuit sa carrière cinématographique en sortant son second film (« Les Grandes Bouches ») en 1999.
Au niveau de Trust, les choses bougent cependant un peu, grâce au tandem Nono - David Jacob qui s’attèle à la composition et à l’enregistrement de nouvelles compositions. Bernie fait alors savoir au groupe que ses priorités du moment ne sont pas compatibles avec sa participation à Trust. Devant l’insistance du groupe il parvient à consacrer quelques jours à la finalisation de ce nouveau disque. De fait, à l’exception de « Pensées » et de « Drôles de Gens » qui ne sont signées que par Nono pour ce qui est de la musique, le duo Nono et David Jacob sont crédités seuls pour tous les titres.
Cet accouchement à l’arrache laissait présager un disque bancal et décousu, et le résultat ne permet malheureusement pas de dissiper cette crainte. A coté des très bon morceaux que sont « Môrice », « Edouard », « Révolutionnaire », « Dieu Est Conservateur, Le Diable Est Libéral » et « Manque De Trop » à la rigueur, l’album contient bon nombre de titres dispensables (« Fin De Siècle », « Drôles De Gens »…) ou de morceaux donnant le sentiment d’avoir été expédiés (« Maréchal » et son texte facile, « Questions d’Ethique » et son phrasé bâclé et en total décalage avec la musique).
Comme pour « Europe & Haine », le style général oscille entre un Rock classique et un Blues Rock énergique, avec cependant un peu plus d’innovation et de prise de risque.
Ainsi, Trust nous propose son premier instrumental avec le titre « Pensées » qui lorgne vers des sonorités techno. Bien que très surprenant, le résultat est plutôt réussi, même si les mauvaises langues, dont Music Waves est totalement dépourvu, prétendent que l’absence de paroles ne serait due qu’au manque de temps dont disposait Bernie pour pondre un texte supplémentaire.
Avec « Dieu Est Conservateur, Le Diable Est Libéral », Trust aborde également des rivages vierges pour lui. Ce titre très lent voit Bernie chuchoter les paroles avec en lointain fond sonore un mur de guitares très modernes. Nous sommes là très loin de l’univers traditionnel du Groupe, mais le résultat est des plus plaisants. Le final orchestré par des trompettes contribue à renforcer le caractère étrange du morceau. Ce souci d’innovation se ressent également sur « Maréchal », dans lequel Nono emprunte à Tom Morello (« Rage Against The Machine) des sonorités de guitare très éloignées de son style de prédilection. L’album est d’ailleurs truffé de petits gimmick sonores, à l’image du très long passage funky de « Chair et Honneur » ou de la fin de « Drôles De Gens ».
Il ressort de cette compilation de titres hétéroclites un manque de cohésion flagrant. Ce sentiment n’est pas seulement le fait du patchwork musical qui nous est ici proposé, mais tient également au décalage que l’on peut parfois constater entre le chant et la musique. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’osmose n’est pas le maître mot de cet album.
Au final, si tout n’est pas à jeter dans ce qui n’aurait du être qu’un simple EP, « Ni Dieu Ni Maître » n’est pas à la hauteur de la réputation d’un groupe comme Trust. La recherche systématique de l’innovation au détriment de la cohésion de groupe et de l’efficacité, nuit trop au disque pour que l’auditeur puisse y trouver son compte. Et c’est bien dommage car la fougue de David Jacob et la soif de création de Nono sont positives et prometteuses. Il faut simplement regretter que celles-ci n’aient pas bénéficié d’une meilleure direction artistique. Confier l’enregistrement et la production à des mains et des oreilles extérieures aurait certainement permis d’éviter certaines maladresses ou travers dus à un excès de confiance.