L’Amérique latine est l’un des creusets des musiques progressives. Les groupes brésiliens, notamment (Cast, Aether, Tempus Fugit entre autres) ont su utiliser leur riche héritage folklorique pour l’intégrer dans un progressif foisonnant. Et c’est de Colombie que nous vient Jaen Kief, qui œuvre dans un registre aux franges du néo-progressif largement teinté d’ambiances plus latines, avec une appréciable utilisation de sonorités hispanisantes ou latino.
El Agua de Frente entame sur Invierno en Atlantis qui n’est pas sans rappeler The Great Gig in the Sky du Floyd avec ses voix féminine sur fond planant. Le groupe s’ouvre ensuite à un large éventail de styles, les sud-Américains nous ayant depuis longtemps habitués à un melting-pot musical parfois très hétéroclite. Les trois premiers morceaux mettent en avant une bonne palette instrumentale, avec utilisation de la flûte et du sax, s’appuyant sur deux voix, l’une féminine, l’autre masculine. Cette variété d’approche, avec des transitions assurée entre les morceaux, est intéressante bien que manquant de temps à autre d’un peu de cohérence, les compositeurs s’égarant parfois dans le propos.
A trop vouloir brasser les genres, Jaen Kief tombe parfois dans la facilité comme sur el Vuelo del Ave, à l’ambiance très kermesse ou dans l’incongruité tel sur la Clepsydra, très Art Moderne avec son piano se promenant d’un coté et les vocaux divaguant de l’autre, et fait montre de quelques limites. L’une est liée à la langue : à l’instar du Français, l’Espagnol est difficile à utiliser, sa relative rudesse la rendant peu compatible avec les subtilités du néo-progressif (les détracteurs du genre peuvent remplacer “subtilités” par “mollesse”, le problème reste entier). Comme les vocaux sont souvent mixés assez en avant, l’écueil apparaît plus évident et ne semble pas facile à contourner ... Une autre difficulté vient de l’alliance des voix, l’une très féminine (Sol Beatriz Jaramillo), l’autre très masculine (Juan Gonzalo Tamayo) ; les deux registres s’accordent difficilement à mon goût. Ajoutez à cela des sonorités parfois très datées, comme celles des guitares wah-wah de Illusiones Olfativas ou Ombres des Hielo, celles des claviers en général, mais en particulier sur Las Hadas no Vuelan Mas, ainsi qu’une batterie mal domestiquée (Angusta Angelical, lourd) , et vous comprendrez que l’album dérape parfois, surtout dans sa deuxième moitié, dans un amateurisme apparent auquel nos oreilles occidentales ne sont pas habituées.
Dommage, car la musique de Jaen Kief, avec ses intéressantes touches folkloriques, possède une fraîcheur que peuvent leur envier nombre de groupes aseptisés actuels. Défaut de jeunesse ? L’avenir nous le dira.