Counter-World Experience est un jeune trio allemand de jazz-métal progressif, qui s’il n’est plus inconnu des habitués de MW, le sera peut-être des autres tant il semble rester discret sur la scène progressive internationale. Une discrétion qui trouve sans doute son origine dans le style musical pratiqué, une sorte de jazz-fusion aux accents métalliques et progressifs, agrémenté de quelques touches atmosphériques plus ou moins bien intégrées. « Metronomicon », quatrième album du combo, poursuit sur cette voie purement instrumentale, technique et complexe, requérant de l’auditeur une attention constante.
Mon collègue Struck avait repéré dans l’album précédent trois parties bien distinctes, correspondant à différentes approches musicales rompant quelque peu la cohésion de l’ensemble. Ici, ce n’est plus tout à fait le cas, les neuf titres du disque composant un tout plus homogène, même si deux morceaux sortent à première vue du lot : "Fuego Barbarico" tout d’abord, avec son introduction flamenco, sa rythmique latino et ses nombreux soli posés sur une cadence espagnole agressive triturée en tous sens ; "Youth" ensuite, moins convaincant car curieusement lancé par un beat techno atmosphérique que l’on retrouve plus loin, intercalé entre riffs pesants, soli véloces et transitions minimalistes.
"Digital Dust" et "End Of The Past" se distinguent également dans une veine plus expérimentale, mais restent globalement conformes à la couleur musicale dominante de l’album. Le premier s’ouvre sur un piano solo virtuose, dissonant et déstructuré, que prolongent des arrangements de cordes (joués au clavier) chargés d’une tension qui ne nous quittera pas le long des cinq minutes du morceau ; le second propose, après une première partie jazz-métal relativement traditionnelle, une longue incursion dans la musique classique assurée par un ensemble de cordes inventif et sensible qui n’est pas sans rappeler Brahms ou, référence assurément plus moderne, les Québécois de MMCircle. Ce dernier morceau apporte une fraîcheur acoustique qu’il convient de saluer avec enthousiasme !
Car les cinq titres restants, s’ils nous ménagent quelques plages de repos, restent majoritairement électriques, touffus et labyrinthiques. Les suites de riffs syncopés et arythmiques (écouter l’introduction de "Metronomicon" par exemple), caractéristiques du genre, ne sont pas pour autant ce qui demeurera le plus marquant ; de même les soli, remarquablement exécutés par un Benjamin Schwenen sous perfusion McLaughlinienne et Holdsworthienne, ne révolutionnent pas vraiment le monde du jazz-fusion.
Curieusement, ce sont plutôt les parties atmosphériques qui révèlent l’identité du groupe, ainsi que quelques trouvailles mélodiques. A cet égard, "Metis" et sa descente d’arpèges néo-classique conclue par une jolie trille baroque place la barre très haut ; et c’est sur ce même morceau que le combo nous gratifie d’une rythmique régressive on ne peut plus efficace, immédiatement suivie d’un solo mélodique prolongeant le souffle épique ressenti dès les premières notes de la pièce. Quant à "Deep Water", il s’agit certainement du morceau le plus fin de l’album, principalement composé d’arpèges apaisants édifiés sur de longues nappes éthérées, tandis que Sebastian Hoffmann se fend à la basse d’un solo jazzy supporté par un subtil hommage à l’arpège ouvrant "Tubullar Bells Part I" du génial Mike Oldfield. Le final, plus agressif, ne gâche en rien la beauté de cet instant privilégié qui prouve, si besoin il y avait, la diversité et la qualité de ce nouvel album.
Aussi Counter-World Experience, certes un cran en dessous de groupes comme Gordian Knot ou Spaced Out avec lesquels il partage une commune démarche, réussit-il un « Metronomicon » hautement recommandable pour les amateurs de jazz-fusion musclé autant que de métal atmosphérique à tendance progressive ; gageons que ceux-ci représentent un vivier d’auditeurs suffisamment fourni pour assurer à ce trio une reconnaissance incontestablement méritée.